Toute la France crie « banco »

Le 24 juillet 1967, le général de Gaulle, premier président de la cinquième république, poursuit une visite triomphale au Québec. À Montréal, devant la foule qui l’acclame, il s’écrie depuis le balcon de l’hôtel de Ville : « Vive le Québec libre ! ».
Le même jour, dans une petite ville de France, le présentateur Lucien Jeunesse, 49 ans, ancien chanteur de charme, lance « Chers amis bonjour ! », à une centaine d’auditeurs de France-Inter, réunis sous le chapiteau du cirque Pinder. Ils participent à l’enregistrement de l’émission “Le Jeu des mille francs“. Ce jeu avait vu le jour dans la petite ville de Le Blanc (Indre) le 19 avril 1958, quelques semaines avant l’arrivée de de Gaulle au pouvoir et l’avènement de la nouvelle Constitution.

Soixante-deux ans plus tard, ce jeu radiophonique reste l’émission la plus suivie de France Inter. Le principe est simple. Il s’agit de répondre à des questions de culture générale classées selon leur difficulté. Le temps de réflexion est ponctué par le son d’un métallophone de trois notes actionné manuellement. Les questions « banco » et « super banco » qui doublent les gains (au risque de tout perdre) sont proposées aux candidats, ce qui rajoute à la dramaturgie. Lucien Jeunesse concluait le quart d’heure par une formule immuable : « À demain, si vous le voulez bien ! ». Avec une variante pour les diffusions du samedi : « À lundi, si le cœur vous en dit ». De l’efficacité des vers de mirliton : beaucoup s’en souviennent encore.

Diffusée entre 12 h 45 et 13 h sur les ondes nationales, l’émission connaît rapidement le succès. Indémodable, inaltérable, inoxydable… les qualificatifs ne manquent pas. Animée depuis 2008 par Nicolas Stoufflet – troisième présentateur historique après Lucien Jeunesse (1965-1995, plus de 10.000 émissions) et Louis Bozon – le jeu continue de caracoler en tête des audiences radiophoniques (1,4 million d’auditeurs), malgré les bouleversements technologiques et les profondes mutations de la société.

L’une des explications de cette bonne fortune réside sans doute dans le fait que l’émission est en prise directe avec la vie des petites villes et villages dans ce qu’on a appelé un temps la France profonde. Assister à l’un des enregistrements constitue d’ailleurs une petite expérience revigorante du « vivre ensemble ». On vient en famille, ou entre amis, ou entre collègues. Jeunes et moins jeunes se retrouvent dans la même salle (municipale, le plus souvent), et personne ne se fera prier pour réagir au quart de tour aux sollicitations du présentateur notamment pour le « Banco » et le « Super ! » scandés à pleins poumons par la salle afin d‘encourager les héros du jour. Ces derniers étonnent souvent par l’étendue de leurs connaissances dans les domaines les plus divers. Particularité du jeu : les questions sont proposées par les auditeurs eux-mêmes qui, en cas de non réponse, gagnent une petite somme d’argent.

Avec Yann Pailleret, réalisateur de l’émission à laquelle il collabore depuis 1990 (c’est lui l’homme du ding ding), Nicolas Stoufflet a visité un bon millier de communes, rencontrant à chaque fois le maire et parfois ses adjoints. Observateur privilégié de la France rurale, il a pu constater de façon très nette le sentiment d’abandon éprouvé par les habitants de ces communes à qui l’on a progressivement enlevé le bureau de poste, la boulangerie, l’épicerie, le bar-tabac, le cabinet médical, l’école… et autres pièces du puzzle. « Ils ne se résignent pas pour autant » précise l’animateur, qui souligne l’extraordinaire attachement des habitants à leur territoire, ce qui ne surprendra pas.

Si les professeurs « retraités et amateurs de randonnées » figurent parmi les candidats les plus souvent retenus, cela n’empêche pas la participation des catégories professionnelles les plus diverses. Collégiens et lycéens, quant à eux, concourent dans les émissions « spécial jeunes » (diffusion le mercredi) et bien souvent, leurs connaissances ont de quoi épater leurs aînés.
Lors d’une toute récente émission, Nicolas interrogeait une de ces jeunes candidates, 14 ans, qui faisait partie du Conseil municipal des jeunes de la commune. « Et que proposez-vous ? Qu’avez vous demandé à votre maire? » demanda innocemment l’animateur. La réponse de la jeune fille ne se fit pas attendre: « Ben… . par exemple, que l’émission vienne chez nous ».

Gérard Goutierre

Image d’ouverture: Nicolas Stoufflet (photo: Marc Demeure)

 

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9 réponses à Toute la France crie « banco »

  1. Menou dit :

    ….et aussi Henri Kubnic, Albert Raisner et surtout Roger Lanzac.
    Mais j’ai sans doute mal lu votre texte.
    Ambroise Menou

  2. philippe person dit :

    Une confession tragique : j’y ai participé à Châlons-sur-Marne en 1977. j’avais 18 ans et je n’ai même pas atteint le banco. Il faut dire que c’est Lucien Jeunesse qui constituait les paires de candidats. J’étais avec une mère de famille qui n’a répondu à rien. En revanche, un copain venu avec moi avait comme partenaire une vieille mémé champenoise qui tenait fermement son sac à main géant (genre sac à provision). Elle a répondu à tout ! Ils ont gagné le superbanco… et moi, j’ai eu un chèque de 75 francs !
    Quand Louis Bozon a passé la main à Nicolas Stoufflet, je me suis rendu à la mairie de Paris où il y avait son dernier enregistrement… Devant mon fils de six ans, je n’ai même pas été sélectionné ! Il faut dire que les couples de profs à la retraite avaient un gros avantage sur les autres car les questions de botanique ou sur des auteurs au programme de 4e en 1960 les avantageaient .
    Depuis mon fils ne me regarde plus pareil : à quoi ça sert de passer sa vie à lire, à aller au cinéma et au théâtre, si ça ne permet pas de gagner le Banco !!!

  3. Marie J dit :

    A Philippe Person : et envoyer des questions sans lien avec la botanique mais peut-être avec la cinéphilie, auxquelles les couples de profs à la retraite ne sauraient répondre, y avez-vous songé ???

    • philippe person dit :

      Oui, belle idée !
      Mais en pré-sélection, on n’envoie pas de questions ! C’est la volonté de France Inter d’avoir beaucoup de profs ou plutôt d’instituteurs. J’écoute le jeu depuis toujours et je sais que le prof de province qui tombe sur une question sur les frères Dardenne est foutu ! j’ai beau lui souffler de ma cuisine…
      J’avoue que je « gagne » beaucoup de superbancos mais que je ne réponds pas souvent aux questions dites faciles… Si j’étais de nouveau sélectionné, je crains de ne pas faire mieux qu’il y a 40 ans !!! Donc, ils ont bien raison de m’éliminer avec les fleurs et les fruits !

  4. Marie-Hélène Fauveau dit :

    Je viens de réinstaller une bonne vieille radio chez moi et la première émission que j’ai écouté pour tester c’est le jeu des mille francs !
    Vive France inter ! Pour l’anecdote longtemps on a prévu que France Inter serait chargée de diffuser les alertes urgentes et ultra-importantes…
    une retraitée…

  5. Marie-Hélène Fauveau dit :

    que j’ai écoutée…élémentaire, l’accord !

  6. Françoise Objois dit :

    Bravo Gérard pour ton article, ça sent le vécu !
    Excellente idée de partir de cette date commune entre le Général au Québec et la création du jeu des 1000 francs. En francs ou en euros, ce jeu n’a pas pris une ride. Quelle étonnante longévité.

  7. Flourez BM dit :

    Oui, c’est un jeu d’instit’, d’élève d’instit’, de prof’ ou alors de passionnés, de curieux de tout et de rien, un jeu pour ceux qui aiment la vie et qui s’intéressent à tout et rien, qui aiment la vie et retiennent tout, leurs vieux cours et tout ce qu’ils ont vu, dans les livres, au cinéma et aux infos… un jeu du temps qui passe. Un jeu où l’on perd, où l’on gagne – tant mieux -, c’est surtout un jeu où l’ « on est ensemble »… un jeu de société, en famille à la radio. On a tellement besoin d’être ensemble, où que l’on soit.

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