Du champagne dans la bottine

Même si la main est gantée, même si la bouche est masquée, nous sommes privés de baisemain. Non pas que nous le pratiquions, hormis quelques éléments d’élite de notre lectorat, mais le seul fait d’en être privé a rétabli un manque dans la panoplie des civilités. Sans aller jusqu’au baise-pied qui ne s’appliquait qu’aux papes, le baisemain relève tout de même, bien plus qu’un choc de coudes, d’un haut niveau de savoir-vivre. Mais les valeurs se sont inversées. Plus on tient ses distances en effet, mieux nous sommes perçus. Tout contact est désormais proscrit et il nous faudra du temps pour réapprendre les embrassades et autres manifestations d’affection ou de simple politesse.

Lorsqu’elle publie « Usages du monde, règles du savoir vivre » en 1889, la Baronne Staffe rédige à peu près tout ce qu’il ne faut plus faire aujourd’hui. Celle qui s’appelait dans la vraie vie Blanche-Augustine-Angèle Soyer (1843-1911), s’était attachée ce faisant « à définir les lois du savoir-vivre, les règles de l’élégance, les nuances du tact, appliquées à tous les événements, à toutes les circonstances de la vie de notre époque ». Au demeurant, en sélectionnant le mot « tact », elle utilisait un vocable qui signifiait littéralement le sens du toucher et par extension une notion de décence et de pudeur. C’est dire en 2020, toute la désuétude de son propos d’alors. De même lorsque Voltaire évoquait le tact, c’était pour indiquer que « la propreté, le soin de soi-même, en rendant la peau plus délicate, augmentent le plaisir du tact ». Depuis là où il se trouve, à l’aide de sa longue vue, nul doute qu’il doit compatir à nos postures obligatoirement distantes et passablement contrites.

Récidiviste, la Baronne Staffe qualifie par ailleurs de « touchant » la pratique du « toast ». Non pas le pain grillé qui contrairement à ce que l’on pourrait croire provient du vieux français « toster » lequel au moins en 1228 (selon le Robert culturel) signifiait « rôtir » ou « griller », mais on l’aura compris, porter un toast entraîne surtout le fait de lever son verre à la santé de quelqu’un. Et ce qui est chic justement, c’est que cette manœuvre est encore autorisée puisqu’elle n’implique aucun contact. À noter pour les oublieux, que selon la Baronne et les bons usages dont elle se réclame le chantre, « l’hôte à la santé duquel on vient de boire, riposte toujours ».

L’auteur déplore par ailleurs qu’en Angleterre, l’usage trop répété du toast peut « mener jusqu’à l’ivresse » et qu’en Pologne c’est pire, puisqu’à la suite d’une « mazurka échevelée », il arrive que l’on boive du champagne dans la bottine « toute chaude » de la danseuse. En France recommande-t-elle, il faut se limiter à deux toasts en comptant la riposte. Nous allons justement y venir.

Tout cela en effet pour en arriver à dire que les auteurs des Soirées de Paris vont suspendre leur plume à partir d’aujourd’hui et que d’ici leur retour le quatre janvier, nous souhaitons à nos lecteurs de porter autant de toasts nécessaires au maintien de leur moral, au rétablissement de leur métabolisme, à l’oubli de la funeste année 2020 et à la mise en œuvre de toutes les dispositions requises pour envisager follement les nouvelles « années vingt ». Si l’histoire doit se répéter, c’est tout à fait le moment.

PHB

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5 réponses à Du champagne dans la bottine

  1. Marie dit :

    Alors ce sera aussi un toast à la longue vie des soirées de Paris (mais en faisant l’impasse sur la bottine)

  2. ISABELLE FAUVEL dit :

    Vive les nouvelles années folles et vive Les Soirées de Paris !

  3. Marie-Hélène Fauveau dit :

    merci
    belle suite aux Soirées de Paris

  4. bernard Dupuis dit :

    Touché !

  5. anne-chantal mantel dit :

    Le toast ?ok, et le clin d’oeil ? le seul signe qui dépasse … du masque !!
    Joli clin d’oeil à l’année 2021 en devenir.
    Sachons préserver ce qui nous est cher, ceux que nous aimons d’abord, notre santé, et notre esprit.
    les soirées de paris nous y aident. merci à vous.

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