Pirandello, à la maison comme au théâtre

Le confinement nous fait-il retomber en enfance ? Pourquoi pas, et prenons en les bons côtés. Jeune donc, je lisais beaucoup de théâtre : Ionesco, Cocteau, Sartres, Montherlant, plus tard Stefan Zweig, Shakespeare, Tchekhov, Yasmina Reza… En fait le théâtre était trop cher pour moi, et c’était compliqué d’y aller. Depuis je me suis rattrapé, en y allant avec délice. Puis le confinement… Arnaud Laporte, dans son émission Affaires culturelles du 11 janvier, interviewait Stéphane Braunschweig, que je ne connaissais pas encore. Je recommande cette interview, que l’on peut réécouter sur le site de France Culture (1). Le parcours de Stéphane Braunschweig est retracé, depuis ses premiers pas dans la magie, jusqu’à sa direction actuelle du Théâtre de L’Odéon, en passant par la mise en scène d’opéra avec le « Ring » de Wagner, qui l’occupa pendant dix ans, et le théâtre de la Colline. Il a un discours sympathique, généreux, ouvert.

A la 39e minute, la voix troublante, émouvante de Chloé Réjon, à laquelle Pierric Plathier donne la réplique, nous plonge dans l’histoire non moins troublante de L’Inconnue, qui pourrait être aussi Lucia. Lucia a été violée par les troupes austro-hongroises envahissant la Vénétie, puis disparaît. Son mari est inconsolable. Dix ans plus tard, un homme la reconnaît à Berlin. Il est persuadé que c’est elle ; elle dit ni oui, ni non, ou plutôt non et puis oui quand même. Est-elle amnésique, veut-elle oublier le drame vécu ? A-t-elle d’autres motivations ?

Cela se passe en 1928. «On devine chez Pirandello une sorte de fascination-répulsion pour ce Berlin qui danse au bord de l’abîme, même s’il n’est pas certain qu’il ait bien perçu que le nazisme allait bientôt emporter tout cela» nous dit Stéphane Braunschweig. L’Inconnue joue le jeu et se rend en Italie mussolinienne, au chaos plus corseté, pour rencontrer son hypothétique mari, et découvre une situation plus complexe.

Chaque réplique fait vaciller le vrai, le mensonge, la générosité, la petitesse : «Tu te mens à toi-même, même avec ta sincérité dégoûtante, parce que, même ça, ce n’est pas vrai, tu n’es pas si atroce que tu le dis. Mais console-toi : personne ne ment vraiment tout à fait. On cherche tous à donner le change, aux autres et à nous-mêmes.»

Stéphane Braunschweig s’apprêtait en janvier à rouvrir la scène de l’Odéon avec la pièce de Luigi Pirandello (1867-1936) « Comme tu me veux ». Il en a fait une nouvelle traduction. En attendant des jours meilleurs, on peut savourer le texte publié par Les Solitaires Intempestifs dans la collection Traductions du XXIème siècle. Savoureux, enlevé : «mi-drame policier, mi-fable existentielle» nous dit la quatrième page de couverture. Pirandello détaille avec précision les décors, le physique des personnages, les mouvements : «Màsperi – dommage que sa lèvre supérieure, on ne sait comment, paraisse s’être rétractée sous son nez et sur ses dents de devant, grandes mais très soignées – serait sans cela un bel homme : de la prestance, des manières distinguées, une carnation à croire, mon Dieu, qu’il met du fond de teint…». Soit le metteur en scène suit, pas forcément facilement, ces consignes, soit il s’en affranchit, revisite le propos dans un esprit de notre temps.

C’est ce que fait Stéphane Braunschweig. Et, s’il faudra attendre des jours meilleurs pour «vivre» le résultat, on peut, d’ores et déjà, mais seulement après avoir lu la pièce, voir le «making-of», qui est très éclairant sur le processus de création qu’il élabore avec ses équipes. Je connaissais Pirandello de nom, mais n’aurais su citer une de ses œuvres. Encore moins « Comme tu me veux », qui semble rarement montée. Et quand on ne connaît pas, il est difficile de découvrir un auteur ou une œuvre, sauf si un ami vous y invite. De là à dire que le virus est notre ami, je ne m’y avancerai pas ; en tout cas il bouleverse nos vies, et prenons ce qu’il y a de bon à prendre, faute de mieux.

Et si j’ai pu, amicalement, vous donner l’envie de découvrir cette « Inconnue » de Pirandello, alors ce n’est pas si mal.

Yves Brocard

(1) Ecouter l’interview de Stéphane Braunschweig sur France Culture

« Comme tu me veux » au Théâtre de l’Odéon

 

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Une réponse à Pirandello, à la maison comme au théâtre

  1. Françoise Objois dit :

    Oh encore une « Inconnue » à découvrir, merci ! On en va pas s’ennuyer pour le 3ème confinement ! Tout à fait d’accord avec vous sur Braunschweig….

Les commentaires sont fermés.