Eglise Saint-Serge, un petit paradis orthodoxe à Paris

Pour un peu on aurait passé le numéro 93, coincé entre un salon de coiffure et un immeuble gris de la banale rue de Crimée, sans le remarquer. Pourtant un coup d’œil au travers de sa grille entrouverte suffit à attirer le regard sur l’insolite maisonnette pourpre auréolée de l’icône d’un saint, blottie au fond de l’allée. Elle est une invitation à aller plus avant. Dont acte. Derrière la maison de poupée, l’allée bifurque pour cacher un véritable éden, invisible de la rue, où le temps semble s’être arrêté. Un sentier étroit s’élève parmi les arbres et les fleurs, passant tour à tour devant un atelier, un garage-librairie et des maisons ocres pour s’arrêter devant une bordée de marches. En haut des marches, c’est l’épiphanie. Saint-Serge, une petite église orthodoxe de toute beauté domine ce tableau bucolique. Saint-Serge de Radonège, suivant son nom complet, dépend de l’Archevêché des églises de tradition russe en Europe occidentale dans la juridiction du Patriarche de Moscou.

On gravit l’escalier de son gracieux porche ajouré en bois, enluminé de peintures de saints pour entrer dans l’église qui se trouve au premier étage. Non sans avoir auparavant répondu au message divin scotché sur la porte : «Dans l’église, Dieu n’a pas besoin de votre portable pour s’adresser à votre cœur, alors éteignez-le». À l’intérieur, on en prend plein les yeux ! Les murs et le plafond sont couverts de fresques éclatantes. Partout des icônes précieuses serties de cadres d’argent et au fond, une belle iconostase engagent au recueillement. Pour parfaire le tableau, comme sorti d’un livre de Tolstoï, le psalmiste, un géant aux longs cheveux et barbe blancs, est en train d’allumer les cierges pour la tenue des vigiles. Avancées à 16 h à cause du couvre-feu, elles sont annoncées par le carillon guilleret des cloches de Saint-Serge, sonnées de manière traditionnelle russe. Une sonnerie qui a inspiré le compositeur Alexandre Damnianovitch, membre de la paroisse, pour sa composition «La Sonnerie de Saint-Serge de Paris».

Les peintures murales, une partie de l’iconostase et l’aménagement intérieur de Saint-Serge ont été réalisés, au début du XXe siècle, par le peintre Dimitri Stelletsky (1875-1947). Cet immigré russe, un touche à tout artistique à la fois décorateur de théâtre, architecte, sculpteur et peintre iconographe, s’est inspiré du style religieux russe du XVIe siècle. Autant dire qu’il lui a sans doute fallu une énergie quasi-mystique pour transformer l’austère temple protestant en église orthodoxe étincelante. Car la colline orthodoxe Saint-Serge, un terrassement formé à partir du creusement des Buttes Chaumont, était auparavant la propriété d’une mission protestante. Elle avait été acquise au milieu du XIXe s pour y construire des maisons et un temple réformé. En 1914, guerre oblige, le tout fut mis sous séquestre, puis, resté à l’abandon, mis en vente en 1924. À cette époque, la capacité de l’église orthodoxe de la rue Daru était devenue insuffisante pour accueillir les fidèles, les Russes ayant afflué pour fuir la révolution dans leur pays. Ce qui décida le métropolite Euloge, alors à la tête des paroisses orthodoxes russes en Europe occidentale, à se porter acquéreur. En plus d’une seconde église orthodoxe à Paris, il voulait créer une école de théologie et former de futurs prêtres, mission toujours exercée aujourd’hui au rez-de-chaussée de Saint-Serge. C’est ainsi que le remblai des Buttes-Chaumont est devenu la colline Saint-Serge, un haut lieu de l’orthodoxie. En faisant le tour extérieur de l’église, on retrouve la structure du temple protestant en brique avec ses fenêtres en ogives et ses vitraux.

Hasard du calendrier ou miracle ? L’acquisition a lieu le 18 juillet 1924, précisément le jour de la fête de Saint-Serge de Radonège (1314-1392), un saint très populaire en Russie. Ce moine russe est une figure marquante du mouvement de renouveau spirituel de l’église orthodoxe de Russie au XIVe s. Après avoir mené une vie d’ermite dans la forêt pendant trois ans, il rassemble, à 23 ans, des disciples et fonde le monastère de la Sainte-Trinité, à 80 kilomètres de Moscou. Il y introduit une vie monacale plus stricte, fondée sur la règle de la communauté de biens, la pauvreté, l’obéissance et du renoncement. Grâce à ses disciples, qui fondent à leur tour des monastères, cette réforme se déploie dans tout le pays.

L’église Saint-Serge bénéficie, depuis décembre 2012, du label «Patrimoine religieux du XXème siècle en Ile-de-France». En près d’un siècle, la colline Saint-Serge est devenue un lieu de mémoire de l’émigration russe et de l’Orthodoxie en France. Loin du brouhaha et de la banalité de la rue de Crimée, ce site inattendu constitue un endroit accueillant, ouvert à tous, avec un jardin paisible où il fait bon se poser pour lire, rêver ou méditer. Son entretien coûte cher et la paroisse fait appel à tous «pour aider au maintien d’un lieu de vie à la fois associative, intellectuelle et spirituelle qui est aussi un lieu de rencontre où aiment à venir des gens de tous horizons, croyants ou non, soucieux de se ressourcer dans un havre de quiétude et de beauté» comme elle le souligne dans ses appels.

Lottie Brickert

Saint-Serge de Radonège, 93 rue de Crimée, 75019 Paris
L’église est ouverte aux visiteurs tous les jours 30 minutes avant les vigiles de 16h et idem avant les autres services du week-end

Photos: ©Lottie Brickert
Print Friendly, PDF & Email
N'hésitez pas à partager
Ce contenu a été publié dans Architecture, Découverte. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

7 réponses à Eglise Saint-Serge, un petit paradis orthodoxe à Paris

  1. Catherine Boccaccio dit :

    Merci Lottie pour partager cette jolie découverte

  2. Jaskula-Juhel dit :

    Découverte lors des obsèques de Michel Wakhevitsch (frère du décorateur de cinéma G. W.
    Un lieu magique, hors du sol et du temps…

  3. MME DESPINOIS dit :

    Merci Lottie. C’est vraiment superbe. Tu nous fais découvrir un nouveau lieu de Paris. Paris est toujours surprenant. Je vais aller voir ce petit bout de paradis

  4. Raymond dit :

    Merci Lottie d’avoir emprunté ce discret passage, puis ce sentier étroit s’élevant parmi les arbres et les fleurs, pour nous faire partager ce petit paradis.
    Ce jour-là, les voies du Seigneur n’étaient pas impénétrables pour toi…
    J’ai beaucoup aimé ta description

  5. John Hardgrove dit :

    Lottie, The next time i am in Paris, I’d like you to take me to this Heaven on Earth. And, I’ll buy you lunch!

    Cheers, John

  6. Silvana dit :

    Quel plaisir de découvrir ce magnifique lieu, insolite et charmant !
    J’ai pleins de visites à faire grâce à toi Lottie. MERCI

Les commentaires sont fermés.