Le grand trou noir de la poésie française

L’actualité fait parfois preuve d’une simultanéité porteuse de sens. Dans sa dernière livraison cette semaine, Le Figaro Littéraire publiait un dossier sur la disparition de la poésie française. Juste auparavant, une dépêche de l’AFP nous apprenait que le trou noir logé au cœur de la galaxie Messier 87 (M87), situé à des millions d’années-lumières du boulevard Saint-Germain et découvert en 2019, commençait à livrer des renseignements sur son activité. C’est peut-être par là qu’il faut chercher. Sachant en effet qu’un trou noir avale d’énormes quantités de matière avec le même manque de discernement qu’une autruche subsaharienne, on pourrait dire que la poésie française a été tout bonnement escamotée, au-delà de ce que les scientifiques appellent « l’horizon des événements », c’est à dire un genre de limite extrême avant le grand saut quantique.

Funeste mais passionnant sujet en regard d’un pays qui a vu s’épanouir sur son sol des Baudelaire, Rimbaud, Cendrars, Hugo, Lamartine, de Nerval, Apollinaire et tant d’autres. Le paysage de la poésie française s’est comme stérilisé de nos jours alors qu’un seul gros volume ne suffirait pas à imprimer une anthologie complète de tous nos poètes depuis quelques siècles. Il en faudrait plusieurs de la taille d’une encyclopédie. Le Figaro Littéraire est donc allé interroger Michael Edwards, poète et essayiste anglais, professeur au Collège de France et membre de l’Académie. Son diagnostic est incertain et l’homme s’interroge à haute voix sur le non remplacement par exemple d’un poète « national » comme Victor Hugo. Et de noter au passage qu’il serait important que « les poètes enseignent ». À Oxford fait-il remarquer avec pertinence, il existe une chaire de poésie au contraire de la France. Heureusement qu’il reste les lycées, les universités et les grandes prépas pour néanmoins entretenir la fibre mais, si elles fabriquent ce faisant des amateurs, elle ne déclenchent guère de vocations.

Michael Edwards fait bien de parler de Victor Hugo d’ailleurs, cet homme dont Baudelaire disait carrément dans « L’art romantique », qu’il était « l’homme le mieux doué, le plus visiblement élu pour exprimer par la poésie ce que j’appellerai le mystère de la vie ». Et si on écoute Hugo lui-même, il avait eu cette sentence admirable selon laquelle (dans la « Légende des siècles »), « Un poète est un monde enfermé dans un homme. » Pour nous en tenir par prudence à la morale ambiante, ajoutons qu’Arthur Rimbaud avait prophétisé de son côté et en toute simplicité que « La femme sera poète, elle aussi ». À vrai dire on s’en fiche un peu, à poète donné, on ne s’inquiète pas plus du sexe que de la couleur de peau.

Bien sûr que l’idée du trou noir, n’est qu’une image, une blague. Mais enfin il n’est que de faire l’expérience consistant à entrer dans une librairie et de demander où se trouve le rayon de la poésie pour constater l’extrême réduction du champ de la matière en question. Aux côtés des rayons BD, littérature et autres essais savants, l’espace dévolu à la poésie fait un peu placard. Encore ne s’agit-il, dans les quelques rayons concernés, d’une poésie passée, de rééditions mille et mille fois imprimées des mêmes auteurs. Quand bien même étaient-ils des géants, des trouvères célestes, tout cela sent bien le passé révolu.

Afin de rééquilibrer quelque peu cette impression d’horizons perdus, Le Figaro Littéraire, a braqué son projecteur sur quelques auteurs comme Philippe Jacottet disparu récemment à 95 ans ou encore Yvon le Men lequel vient apparemment de sortir un nouvel opus intitulé « La baie vitrée » aux éditions Bruno Doucey. Ce même Le Men apprend-on, qui avait joliment baptisé l’un de ses recueils et afin d’évoquer la mort,  « Le pays derrière le chagrin ». Joli mais pas très gai on en conviendra.

Ce n’est certes pas la poésie qui a quitté, sinon l’existence, du moins le devant de la scène. Ce sont les poètes qui se sont fait la malle. Autant la poésie se retrouve aujourd’hui diffusée un peu partout, dans les arts, au théâtre, dans la musique, chez certains chansonniers inspirés, sur les murs de la ville, voire dans les mathématiques, autant le texte pur, bêtement couché sur le papier, a perdu ses artisans, ses génies. Certes la France a ses petits marchés de la poésie, ses stands, ses maigres comptoirs, mais on a bien compris que l’air du temps hexagonal n’a que faire des simili aèdes, rhapsodes, ménestrels et autres scaldes, toutes sortes de professions qui avaient précédé les poètes au sens contemporain. Peut-être que l’heure est venue des successeurs, de leur trouver un nouveau titre, mais ils ne se sont pas encore clairement présentés à l’accueil.

PHB

Illustration d’ouverture: PHB
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3 réponses à Le grand trou noir de la poésie française

  1. « Le langage me paraît être la plus stupéfiante création de l’homme. La poésie, c’est la fête du langage. Une fête où chacun reste dans son coin tourne au désastre. Voilà ce qui me semble arriver chez les muses, depuis qu’il est de rigueur de s’y travestir en sphinx. » Lucienne Desnoues.

  2. Jacques Ibanès dit :

    Depuis des décennies, le même brouet de la mort de la littérature, partant, de la poésie, nous est resservi. Le théâtre et la photographie aussi devaient mourir avec l’avènement du cinéma, le cinéma devait disparaître avec celui de la télévision, laquelle est maintenant vouée à la disparition avec les nouveaux médias. Certes, la poésie ne connaît pas les tirages des quelques auteurs de best-sellers qui tiennent le haut du pavé médiatique (toujours les mêmes, invités à dispenser leur bonne parole), mais j’affirme qu’elle est bien vivace. « L’air du temps hexagonal » ignore certes les pourtant nombreux poètes, éditeurs et revues, mais ceux-ci continuent à innerver une vie culturelle plus présente et passionnée que le prétendent les pigistes de dossiers prétendument littéraires.

  3. philippe person dit :

    Un mien ami, Xavier Gayan, s’est posé clairement la question dans son film sorti en 2016 : « Les poètes sont encore vivants ».
    Il en a recensé des dizaines et choisi une vingtaine qui parlent de leur poésie et interprètent tous une de leurs oeuvres. C’est stimulant et ça coupe court à toutes les questions : la poésie française (et francophone) existe toujours.
    On trouve le DVD « les poètes sont encore vivants » dans toutes les bonnes librairies qui font une part non congrue à la poésie…

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