Lune de miel

Pour son voyage vers la Lune, Jules Verne faisait son miel de moult détails techniques ce qui ne l’empêchait pas, par moments de tirer quelques salves humoristiques. Ainsi lorsqu’il mentionne, via l’un de ses personnages, l’anecdote suivante: soit une expérience balistique française sous Louis XI qui vit une bombe partie de la Bastille, « un endroit où les fous enfermaient les sages », atterrir à Charenton, « un endroit où les sages enfermaient les fous ».
Au moment où la NASA vient de choisir son module pour renvoyer des astronautes sur la Lune, il apparaît comme fort distrayant de relire « De la Terre à la Lune », par l’indispensable Jules Verne. Lequel avait prévu, en 1865, à peu de choses près, le même temps de parcours qu’en 1969 avec la mission Apollo 11, et la même zone de tir.

Ce roman que l’on peut se procurer en Poche pour une petite poignée d’euros, met en scène en Amérique quelques personnages du Gun-Club, lesquels ne savaient plus quoi faire de leurs talents d’artilleurs depuis la fin de la Guerre de Sécession. D’où l’idée de tirer un obus géant vers la Lune et par esprit d’enchaînement d’y embarquer des passagers. Là encore, Jules Verne fait preuve d’un certain humour teinté d’ironie puisqu’il écrit: « Quand un Américain a une idée, il cherche un second américain qui la partage. Sont-ils trois, ils élisent un président et deux secrétaires. Quatre, ils nomment un archiviste et le bureau fonctionne. Cinq, ils se convoquent en assemblée générale, et le club est constitué. »

Jules Verne (1828-1905)  donne surtout libre cours à sa passion des sciences, au détriment -un brin regrettable- d’une narration romantique. Quelle doit être la masse du canon, mieux vaut-il un obus qu’un boulet, quelle quantité de poudre sera nécessaire, lors de quelle phase lunaire il conviendra d’effectuer le tir et à partir de quel endroit de la surface terrestre: l’écrivain ne nous épargne rien. Sûrement qu’en 1865, tout cela devait paraître inouï à ses lecteurs. Il s’intéresse même à la question du financement et en décline les détails avant d’aborder la question des moyens, dollar par dollar.

Ce n’est que vers la moitié du livre que Jules Verne fait intervenir un personnage français qu’il baptise Michel Ardan. C’est ce dernier qui va suggérer prestement aux Américains d’aménager leur obus de façon à ce que des humains soient du voyage. L’illustration qui jouxte cette entrée en scène crève un secret. Cet Ardan s’inspire de Nadar (dont il est l’anagramme), l’un des plus célèbres photographes de l’époque. Les photographies aériennes de Nadar, inspirent aussi Jules Verne pour son roman « Cinq semaines en ballon », paru trois ans plus tôt. C’est d’ailleurs pour une sombre histoire de ballon qu’ils finiront par se fâcher. Mais il n’empêche que Verne ne cherche pas plus loin que la personnalité de Nadar (1820-1910) pour inspirer l’un de ses astronautes. Et « De la Terre à la Lune » sera suivi de « Autour de la Lune », soit deux épisodes dont s’inspirera peut-être Hergé pour les aventures de Tintin.

Quand Barbicane, le président du Gun-Club interroge Ardan (ci-contre) sur ses motivations, afin de savoir s’il a bien « réfléchi » avant de partir, ce dernier répond avec la gaieté -désormais perdue- d’un boulevardier de Paris: « Réfléchi! Est-ce que j’ai du temps à perdre? Je trouve l’occasion d’aller faire un tour dans la Lune, j’en profite et voilà tout. Il me semble que cela ne mérite pas tant de réflexions. »

Ce faisant Jules Verne nous interpelle à raison. Quand l’occasion de s’amuser passe, point n’est besoin de contacter un psy pour lui faire part de nos atermoiements. Lorsque l’on a le bénéfice de l’initiative et la saine détestation de se laisser gouverner par les autres, il faut savoir faire ses bagages, ne pas oublier son passeport et éventuellement un certificat de vaccination. Quitte à adresser à ses proches, le cas échéant, une carte postale oblitérée de très loin.

PHB

 

« De la Terre à la Lune », Jules Verne. Le livre de Poche, 4,90 euros

Photos: PHB

 

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2 réponses à Lune de miel

  1. Anna Aznaour dit :

    Si une forte imagination peut, d’après Montaigne, produire l’événement souhaité, il n’est point de doute que ce livre vous enverra, vraiment, sur la Lune. Vous vous y sentirez, parfois, perdu comme à CERN, mais toujours en bonne compagnie. Celle de quelques casse-cou pour l’embarquement avec qui point de formulaire à remplir ni séance de chatouilles à la tige dans les narines voire caresses à l’aiguille sur le bras. De retour, vous aurez des étoiles dans les yeux et des phrases savantes à sortir aux terriens prosaïques, souvent consternants de conformisme. Partez…
    P.s. Merci Philippe pour ce rappel d’un voyage enchanteur vécu

  2. philippe person dit :

    Il y a un autre roman de Jules Verne qu’on peut ajouter au « cycle » De la Terre à la Lune, on y retrouve le Gun-Club et Barbicane, c’est « Sans dessus dessous ».
    Pour les « Verniens », il s’agit peut-être du chef d’oeuvre de Verne. Pour moi, c’est un des meilleurs incontestablement. Plus débridé, moins « sérieusement savant d’opérette », on y découvrira comment un coup de canon peut changer la face du monde !!!

    Quant à l’espace, pour taquiner Philippe, je dirai que la plupart des gens n’en ont pas grand chose à faire. Les milliards dépensés par les États-Uniens pour continuer à jouer aux rois du monde dans le vide galactique qui nous entoure seraient mieux utilisés contre la faim du monde ou pour donner gratuitement à toute la planète les fameux « bons » vaccins. Là, on les aimerait et on les admirerai vraiment nos « chers » yankees !
    Mais il ne faut pas désespérer Billancourt et les rêves frelatés des petits enfants, comme l’a appris à ses dépens la brave maire de Poitiers victime des machos qui rêvaient de jouer dans Top Gun aux côtés du scientologue Tom Cruise…
    Plus sérieusement, cher Philippe, lisez Sans dessus dessous, si ce n’est fait, ça vaut largement une leçon de géo-politique sur l’impérialisme !

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