La visite à Satie

Sur l’immeuble tout de jaune où vécut Erik Satie à Arcueil, il y a une plaque comportant des indications kilométriques. Elle informe que la voie n’est autre que la liaison Paris Bourg-la-Reine et que Paris se situe à 2,6 kilomètres. Quand on sait que faute d’argent, le musicien des « Gymnopédies » effectuait tous ses trajets vers la capitale à pied, cela donne idée des distances parcourues. En général il marchait avec son immuable costume fait d’un pardessus noir, d’une veste sombre, d’un pantalon étroit, faux-col, chapeau-melon et parapluie. En 1920, il fit même le trajet Paris-centre-Arcueil dans un smoking  que l’un des propriétaires du magasin Old England venait de lui offrir. L’une de ses biographes Suzanne Sens, raconte dans un livre qu’il s’était arrêté à chaque bistrot pour bien montrer « comme il était beau ». Après avoir vécu à Montmartre, Satie (1866-1925) s’était résolu en 1900 à quitter la butte pour habiter une banlieue modeste. Il avait déménagé seul emportant ses effets dans une voiture à bras. La richesse n’était pour lui qu’une vue de l’esprit, une abstraction.

Il faut parfois passer le périphérique pour constater le tranquille agrément qu’offrent certaines cités de banlieues sans cet aspect négligé que connaît actuellement Paris à maints égards. La petite ville est plutôt calme, conservant dans ses coins des traces de ruralité ancienne. À l’époque du musicien Satie, l’on pouvait encore se promener sur les bords de la Bièvre, rivière qui fut progressivement recouverte de 1870 à 1960. Entre parenthèses et selon les panneaux d’affichage municipaux, elle devrait revoir le jour dès cette année, sur un tronçon de 600 mètres entre Arcueil et Gentilly. Ce qui est une bonne nouvelle dans la mesure où un enterrement de ruisseau ou de rivière procède d’un déplorable égarement d’urbaniste.

Il est plaisant de parler de Satie. Il y a toujours quelque chose d’intéressant à raconter à propos de cet homme qui était singulièrement prolixe en saillies étonnantes. Il jalonnait ses partitions de conseils déconcertants à l’intention des exécutants. Tel passage devait être joué comme « un rossignol qui a mal aux dents », tel autre dans « La tyrolienne turque », impliquait un abord « très turc, peu saignant ». Il avait aussi de drôles d’opinions, notamment à propos de l’affaire Dreyfus qui lui avait fait dire: « Si en République on n’a pas le droit de trahir tranquillement son pays, je ne sais vraiment pas ce que nous ferons, ou plutôt ce que nous ne ferons pas… En voilà une idée par exemple! Emmerder un homme pour une trahison que nous aurions tous faite avec plaisir! »

D’un commun avis Satie était d’un caractère difficile, compliqué, ce qui ne le rendait pas moins attachant. À Arcueil, cet homme qui avait adhéré au Parti Socialiste dans la foulée de l’assassinat de Jean Jaurès et même quelquefois écrit dans l’Humanité, avait demandé en 1909 au maire de sa ville l’autorisation d’emmener un groupe de douze enfants désœuvrés  en excursion. « Sachez que les enfants sont plus jeunes que bien des vieillards » a-t-il été apposé à ce sujet et comme une évidence loufoque sur les murs de sa maison, dans une sorte de post-scriptum. Il s’était donc engagé auprès des autres tandis que les artistes de la capitale (musiciens, peintres, poètes…) s’intéressaient davantage à leur carrière.

Sa tombe, creusée dans le petit cimetière situé non loin de la rue Cauchy où il résidait, est à l’image de sa carrière, fort modeste. Des fleurs attestent que des personnes en prennent soin mais l’ensemble ne donne guère dans la munificence. L’histoire s’est rattrapée dans la deuxième moitié du 20e siècle en faisant de Satie une star,  mais il était bien trop tard. Il nous reste sa musique et sa poésie et même une présence mal connue au cinéma.

« Entr’acte » est un court métrage  réalisé par René Clair. Il a été projeté le 4 décembre 1924 durant l’entracte de « Relâche », ballet Dada de Jean Börlin et Francis Picabia, au Théâtre des Champs-Élysées. Durant quatre-vingt dix secondes (1) on y voit Picabia et Satie charger un canon sur le toit d’un immeuble. Les deux hommes ne cessent de bondir (au ralenti) de part et d’autre de l’écran en donnant l’impression de bien s’amuser. C’est en tout cas une occasion de voir ce fameux Satie dans son costume d’abonné au style unique, avec sa chemise à faux-col. L’histoire de ce musicien est tellement ancienne, que ces quelques images de lui vivant, nous rapprochent de l’homme par effet de surprise.

PHB

(1) Voir le début du film Satie-Picabia

Photos: ©PHB
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3 réponses à La visite à Satie

  1. Yves Brocard dit :

    Merci Philippe de nous faire découvrir cette maison jaune. J’avais imaginé qu’il habitait plutôt un petit pavillon. Quant à ce petit film, il redonne effectivement vie de façon croquignolesque à Satie et Picabia, complices dans cette scène détonante.
    Dans la gare RER d’Arcueil, Satie nous donne ce conseil : « Si vous voulez vivre longtemps, vivez vieux. »
    Bonne journée

  2. Jacques Ibanès dit :

    Et merci pour ce collector émouvant de René Clair! J’ignorais que Satie avait été filmé.
    En matière de cinéma : je signale « Feu follet » de Louis Malle, nimbé d’une Gymnopédie et des Gnossiennes qui accompagnent le drame d’une façon inoubliable.

  3. Marie-Hélène Fauveau dit :

    Merci pour ce billet
    moi aussi je « voyais » Satie dans un petit pavillon…
    j’aime beaucoup sa musique et son humour décalé
    en 1924…danser sur un volcan…sur un dérision de la guerre si proche…

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