Max Jacob, 8 rue du Parc

À côté d’un vase se trouve un « Lui » qui ne date pas d’hier. Un magazine que l’on disait, du temps de sa gloire, réservé à l’homme « moderne » et surtout à l’amateur de femmes nues. Le côté profane de la chose est que le journal en question se trouvait toujours, du moins en date du 19 mai, au premier étage de la maison de Max Jacob, à Quimper. Oui Max Jacob, né en 1876 dans cette ville du Finistère, Max Jacob le poète, Max Jacob le peintre, Max Jacob l’ami de Picasso et d’Apollinaire. Cette maison familiale que l’on trouve facilement, un peu en retrait des rives de l’Odet, vient de faire l’actualité. Selon Le Télégramme, sa mise à l’encan était prévue pour le 12 juin, elle a finalement été ajournée. Comme le disait un vieux patron de presse, une annonce suivie d’une annulation, cela fait toujours deux infos, bonnes à imprimer. Auxquelles, permettons-nous d’en ajouter une troisième, la disparition de la salle Max Jacob au Musée des Beaux-Arts de Quimper. Un comble.

Car Quimper a ceci de particulier avec une ville comme Charleville Mézières, c’est qu’elle détient un poète et même un peu plus puisqu’il a contribué à porter le cubisme sur les fonts baptismaux, au terme d’une conjonction de rencontres exceptionnelles. Alors que le nom de Max Jacob figure un peu partout dans la cité (son effigie masquée est même utilisée en tant qu’emblème sanitaire), il est quand même regrettable que certaines de ses œuvres ne figurent plus aux cimaises du musée de la ville sans même parler de la disparition de la salle dédiée. Il serait question d’en rouvrir une mais aucun membre du personnel rencontré ne s’est hasardé à fournir une date fiable.

La responsable de la librairie du musée a cependant suggéré au visiteur de se rendre chez Coop Breizh, boutique qui commercialise et édite de la matière culturelle bretonne. Ils ont eu la bonne idée en 2014 de consacrer sous la plume d’André Cariou, un livre à Max Jacob, « Le peintre inavoué ». Bon livre qui permet à la fois de constater que son talent d’auteur était assez comparable à son talent d’artiste. Lui qui écrivait en 1939 à Louis Dumoulin: « La littérature m’a pris à la peinture puis la peinture à la littérature, de sorte que je n’ai vraiment réussi ni l’une ni l’autre ». Malgré les vapeurs d’éther dont il s’était beaucoup intoxiqué, Max Jacob était resté modeste et se rangeait même volontiers au rang de simple illustrateur, ce qu’il fera notamment pour lui-même lorsqu’il ornera son œuvre écrite la plus connue: « Le cornet à dés ». Ses portraits d’Apollinaire ou de Picasso ne sont pas inintéressants et ses gouaches, telle une « Scène de rue à Douarnenez » en 1929, conjuguent finesse et sensibilité. Il est aussi l’auteur d’un portrait de Cécile Acker, la seule relation amoureuse qu’on lui connaît avec une femme. Mais Picasso en fera sans doute un meilleur, joliment coloré, lorsque les deux amis faisaient chambre commune en 1903, au 137 boulevard Voltaire à Paris. C’est la période où ils étaient dans la dèche au point qu’ils se partageaient le lit selon les jours où Max travaillait comme manutentionnaire. L’hôtel qui abritait leur misère (1) existe toujours.

Comme Picasso avec l’Espagne, Max Jacob retournait très régulièrement à Quimper sa ville natale  (la gare existe depuis 1863) mais aussi pour aller visiter ses sites favoris comme Locronan ou la très spectaculaire baie de Douarnenez. Ce qui nous ramène à cette maison de la rue du Parc (ci-contre) conservée dans son jus et depuis quelques années aménagée en restaurant. Elle n’a pas été rénovée et l’on peut admirer la cheminée massive qui devait, telle qu’elle se présente aujourd’hui, réchauffer les soirs d’hivers de ses parents et de sa fratrie. Comme le précise l’une de ses biographies publiées sur les site des « Amis de Max Jacob », sa dernière visite à Quimper remonte à 1942. C’est l’époque hélas trop connue des lois antijuives. Gaston, son frère aîné, est arrêté cette année-là, puis déporté. Max qui s’est converti au christianisme sans pour autant rejeter ses origines juives bien au contraire, refuse de fuir et se fait également arrêter à Saint-Benoît-sur-Loire avant d’être dirigé sur le camp de Drancy où il va décéder en 1944. Il comptait y retrouver sa sœur Myrté-Léa, mais les autorités pressées l’avait déjà déportée à Auschwitz où elle a immédiatement été gazée.

Il serait bien que la ville de Quimper se penche un peu sur le cas de cette maison qui pourrait devenir un lieu d’exposition permanent. Max Jacob s’élève au dessus du lot des personnalités natives de Quimper sauf peut-être le médecin René Laennec. Et sans oublier le roi Gradlon dont on situe l’existence vers le 4e siècle. Sa légende mérite d’être brièvement résumée. Puisque amoureux de la fée Maigven brumeuse reine du Nord, et assuré d’une réciprocité sentimentale, il décida de tuer son mari ce qui lui fit gagner beaucoup de temps. Débarrassés de l’importun ils convolèrent à l’aise et eurent une fille assez extraordinaire. Dans la mesure où, une fois en âge « de », elle prit un amant par jour. Elle leur mettait le soir un masque sombre sur le visage et au matin, au chant de l’alouette, le masque étouffait l’amant. C’est vrai quand on y pense, pourquoi s’encombrer ou s’embêter à mentir en disant que l’on est attendu en réunion. Il n’empêche que dans le même temps le roi Gradlon s’était converti au christianisme. Avec Jacob, cela en faisait au moins deux qui laissèrent, grâce à Dieu, leur nom à la très sélective postérité des Quimpérois.

PHB

(1) À propos de Picasso et Max Jacob, bd Voltaire

« Max Jacob, le peintre inavoué ». André Cariou, éditions Coop Breizh

Photos: ©PHB
Print Friendly, PDF & Email
N'hésitez pas à partager
Ce contenu a été publié dans Anecdotique, Apollinaire. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

5 réponses à Max Jacob, 8 rue du Parc

  1. Yves Brocard dit :

    Ce serait bien triste que Quimper efface peu à peu la mémoire de son illustre peintre, écrivain, poète aux mille facéties. Jusqu’il y a peu on hésitait à célébrer les homosexuels, tel Cocteau dont aucune école ne porte son nom, mais Max a été discret à ce propos, n’a jamais affiché ouvertement ce penchant. Mais ce temps est passé et Quimper devrait se réveiller.
    Bonne journée

  2. Byam dit :

    Merci Philippe pour ce bol d’air finistérien, pour ce pèlerinage que tu attendais depuis longtemps … le Roi Gradlon, lui, reste bien visible au Musée de Beaux Arts …

  3. bruno charenton dit :

    Vous m’apprenez la dilution du fond Max Jacob du musée des beaux arts de Quimper, lequel aura sans doute fait l’objet d’un de ces escamotages liés à une décision radicale de conservation, budgétaire ou présumant de l’ insuffisance d’intérêt pour l’auteur, poète, peintre, figure emblématique de courants artistiques majeurs du 20ème siècle. Dans mon souvenir, la salle dédiée du musée, quoique disposant de sources documentaires, de dessins et peintures, photos, d’éditions de livres et autres cahiers, ne brillait pas par sa lisibilité ou la cohérence de sa présentation. Il n’empêche que cela constitue un vrai manque, une forme de désertion qu’on ne peut que regretter. Merci de cet écho à une initiative heureuse mais trop modeste pour permettre la juste reconnaissance de Max Jacob, tout comme la mention de ce livre et de ce lieu.

  4. YVES CURE dit :

    Quel dommage! Comptons sur un sursaut des Quimpérois…. Sinon, passez par le Musée des Beaux-Arts d’Orléans qui possède un riche fonds Max Jacob et une salle au poète dédiée. Une bonne occasion de pousser la visite jusqu’à Saint Benoît sur Loire où Max Jacob passa ses dernières années.
    Merci pour ces soirées matinales….

  5. anne chantal dit :

    J’ajouterai juste que Saint Benoît mérite vraiment une visite , tout comme Germigny des Prés, (merveilleux oratoire ) ou Sully sur Loire (oh la charpente du château !! ) lors d’un balade dans cette région…

Les commentaires sont fermés.