Visite garantie surréaliste

Pour ceux qui connaissent un peu et s’intéressent au surréalisme, c’est un régal, pour les autres cela peut être un peu plus compliqué. La BNF, en partenariat avec la Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet, vient d’ouvrir l’exposition «L’invention du surréalisme, des Champs magnétiques à Nadja», prévue à l’origine le 15 décembre 2020. L’exposition, très bien présentée et documentée, très riche, balaie large, au risque de nous perdre, en tout cas ceux qui, comme moi, ne sont pas totalement initiés aux acteurs du surréalisme et à leurs agissements. Le placement des cartels, parfois éloignés des documents qu’ils décrivent, est ici et là déroutant et oblige à une certaine gymnastique. Mais, après tout, on est dans le surréalisme.
Elle balaie large puisqu’elle démarre, bien avant les «Champs magnétiques», par «Parade», ballet russe de Diaghilev, dont le livret est de Cocteau, la musique de Satie et les décors et costumes (dont on contemple trois exemplaires grandeur nature) de Picasso. Apollinaire, qui rédigea la préface du programme, qualifia ce ballet de «sorte de sur-réalisme». Il s’en fallut de peu que ce mot ne vit pas le jour car, dans son brouillon, il l’avait qualifié de «cubiste», ce qui n’est pas usurpé, et Cocteau le voyait, à l’inverse, comme un «ballet réaliste». Un mois plus tard, en juin 1917, Apollinaire fit aussi scandale avec sa pièce les Mamelles de Tirésias. C’est là qu’Eluard rencontra pour la première fois Breton, bientôt pape du mouvement.

L’exposition étant axée -BNF oblige- sur le côté littéraire du surréalisme, on y voit toutes les publications, livres et revues, l’accent étant mis sur les manuscrits, les lettres, les dessins, dont les célèbres «Cadavres exquis». Mais aussi photographies, films, musiques, etc. Le fait initiateur de l’exposition est la (re)découverte du manuscrit du récit «Nadja» de Breton (ci-dessous), dont les «repentirs» éclairent la genèse du livre. Nadja est ainsi le point d’orgue de l’exposition, et sa conclusion. Mais aussi, et peut-être surtout, les lettres à Breton écrites par Léona Delcourt. C’est elle qui se cache sous le pseudonyme qu’elle s’est donnée elle-même, Nadja, en espérant faire une carrière d’actrice, comme une certaine Nadia de l’époque. Ces lettres d’amour et de désespoir sont émouvantes et n’ont été découvertes qu’à la succession de Breton, lors des fameuses ventes de 2003.

On voit aussi les portraits de Breton et les autoportraits que Léona Delcourt a dessinés, les quelques semaines qui suivirent leur très brève rencontre, elle qui n’avait jamais dessiné auparavant. On connait, ou découvre, le destin funeste de Léona Delcourt, qui fut déclarée folle quelques mois plus tard, internée à l’hôpital Saint-Anne, puis transférée dans un asile à Bailleul, plus près de ses parents qui habitaient à Lille. Elle y resta une dizaine d’années et y mourut, comme beaucoup d’internés partout en France, de faim, en 1941. Elle avait alors trente-huit ans. Lui survécut sa fille, qu’elle eut à 17 ans, et qui eut elle-même sept enfants.

L’envie que l’on a souvent à la fin d’une exposition aussi riche et dont on n’a pu savourer tout le suc, est que l’on y reviendra pour une deuxième dose, ce que l’on ne fait jamais, ou rarement, pris par d’autres attraits ou obligations. Le subterfuge est alors de repartir avec le catalogue de l’exposition, que, de retour à la maison, on feuillettera sans le lire, en se disant qu’il faudra un jour prendre le temps de l’explorer plus à fond, ce que là aussi, en général, on ne fait pas. Il constitue néanmoins un souvenir visuel et estimable de l’exposition. Je suis toujours surpris par ces catalogues de plus en plus luxueux, de plus en plus lourds, de plus en plus volumineux et documentés qui accompagnent de nos jours les expositions. Malgré leurs prix qui frôlent désormais les cinquante euros, ils se vendent comme des petits pains (par dizaines de milliers !), à tel point que beaucoup de maisons d’éditions se focalisent sur ce marché lucratif et peu risqué, délaissant les monographies ou essais plus exigeants, et que de nouveaux éditeurs apparaissent pour manger au même râtelier. Il est vrai que le catalogue d’exposition est un document d’actualité où la version papier a encore (pour combien de temps ?) de beaux jours. Ce n’est pas très glamour de sortir de la boutique du musée avec un lien sur son smartphone, et le lourd volume, lové dans le sac à l’effigie du musée, a plus de gueule dans les rues ou le métro.

Ici le catalogue est de petit format, à tel point que je n’ai pas réussi à le localiser dans la boutique, riche de mille trésors, de la BNF. Plus visible par son aspect et son poids est le facsimilé du fameux manuscrit de «Nadja», coédition de la BNF et Gallimard, limitée à 1200 exemplaires, présenté dans un coffret, pour 180 euros quand même.
J’ai donc dû demander son aide à la libraire pour trouver le catalogue, proposé pour la somme plus modique de 29 euros. J’ai été dérouté par sa forme de petites «vignettes», suite d’articles d’une page accompagnés d’illustrations, augmentés de rares articles plus conséquents. Je suis reparti avec un beau (et lourd) catalogue soit les «Lectures de Romain Gary». Gary n’étant-il pas, à sa manière, un peu sur-réaliste ? L’exposition ferme ses portes le 15 août.

Yves Brocard

Photos (1) ©PHB (2) ©Yves Brocard

« L’invention du surréalisme », bibliothèque François Mitterrand, jusqu’au 14 août

 

 

 

 

Print Friendly, PDF & Email
N'hésitez pas à partager
Ce contenu a été publié dans Exposition. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

3 réponses à Visite garantie surréaliste

  1. Lise Bloch-Morhange dit :

    Mais où se déroule donc cette exposition qui remet à l’honneur cette fameuse Najda dont je ne soupçonnais pas le terrible destin?

  2. Nicolas Jacques dit :

    Très intéressant, cela donne envie d’aller voir cette exposition et de découvrir la BNF, parfois un peu trop discrète. Cette évolution des maisons d’éditions vers des publications plus rentables à court terme est bien regrettable.

  3. Lise Bloch-Morhange dit :

    Actualité oblige, il se trouve que Le Monde d’aujourd’hui consacre deux pages de sa rubrique Idées à l’Exposition coloniale de 1931, et publie intégralement le Manifeste des surréalistes contre cette exposition. Figure-t-il dans l’actuelle exposition de la BNF? Il est en tout cas d’une virulence remarquable qu’on ne peut que saluer…

Les commentaires sont fermés.