De la coupe au calice

L’un des secrets de la France pour amadouer un chef d’État ombrageux en visite officielle se trouve d’abord en cuisine. Et ensuite sur une de ces tables garnies pour les grandes occasions où le cristal, l’argenterie et la belle porcelaine se liguent pour flatter les plus grincheux. Pour son exposition sur les arts du repas à travers les âges, le Musée national de céramique a consacré tout un chapitre scénographique en regard de cette compétence française sur la réception des hôtes internationaux. C’est entre la poire et le fromage, l’estomac déjà tapissé des meilleures sauces et des meilleurs vins que se dénouent sans doute maints problèmes de frontières et que se scellent aussi nombre de contrats d’armement. La diplomatie tricolore est ainsi faite. Si dans les sous-sols de l’Élysée se trouvent à la fois la cave à vins et le PC Jupiter, c’est que l’on sait jouer habilement sur les deux tableaux.

« À table! » l’exposition, nous fait remonter jusqu’à l’époque gallo-romaine où durant cinq siècles, l’on disposait trois lits en « U », sur lesquels les convives s’allongeaient deux par deux. L’ambiance était déjà assez raffinée nous explique-t-on, puisque des cruches d’eau parfumée servaient à se rincer régulièrement les mains, surtout après les grenades et les dattes confites que l’on dégustait avec gourmandise et un brin de dédain.

La scénographie a fait l’impasse sur la façon dont on se nourrissait dans le monde cavernicole où vivaient nos grands aïeux. Cette époque où l’on ne s’embarrassait pas trop de manières dès lors que l’on dévorait de l’ours à même son vaste corps rôti sur la braise. Notre imagination fait que nous pouvons voir les choses ainsi en partant du principe que l’élégance de la table n’était pas encore de mise. Encore que de ce côté-là, il y aurait matière à disserter tant dans nos sociétés modernes, il est possible de noter qu’un vent régressif s’était mis à souffler dès 1979 avec l’arrivée en France du premier McDonald’s. Pas d’assiettes, pas de couverts, des gobelets en carton, il ne restait plus que la table à l’américaine. Dont Jacques Borel, avec ses selfs autoroutiers avait donné le top départ. Un peu plus récemment, nous avons également vu arriver les repas sur la planche de bois et là encore, au pays de la porcelaine de Limoges, un glissement regrettable s’opérait. Sans compter les nappes en tissu qui ont presque totalement disparu des restaurants ordinaires de l’hexagone au profit des feuilles de papier, au contraire de l’Italie qui s’acharne à les utiliser avec une constance remarquable.

Tout dans cette exposition plaide en sens inverse. Mal se servir c’est se châtier soi-même, mal servir c’est la manifestation du peu d’égards que l’on a pour ses commensaux. Il est vrai que dans sa solitude plus ou moins voulue, il arrive que l’homme moderne, après une journée de travail, soit tenté d’abdiquer en piochant directement dans la barquette d’un repas surgelé tout en perfectionnant ses connaissances sur le trafic de cocaïne dont nous abreuve sans discontinuer la plateforme Netflix.

Le titre de cette exposition, en incluant le mot « arts », est donc bien trouvé. Les scénographes se sont transformés en maîtres d’hôtel, dressant de somptueuses tables avec verres, coupes et autres flûtes. On ne pourra qu’admirer ce calice du 16e siècle en verre incolore soufflé et dorure Venise, objet pour le moins réfractaire, faut-il le préciser, au vulgaire soda. Ou encore cette évocation d’une table à dessert de la fin du 18e avec ses figures sculptées en biscuit de porcelaine de Sèvres: la grande affaire était de ne rien casser.

Pour rejoindre ce musée, il faut traverser la Seine par le Pont de Sèvres et laisser loin derrière soi une capitale qui perd de plus en plus la tête. On n’en savoure que davantage la visite de ce beau bâtiment installé au pied du Parc de Saint-Cloud, là où il fait bon déjeuner à l’ombre des grands arbres. On n’oubliera pas pour ce faire le nécessaire à pique-nique, panier, nappe à carreaux, glacière et autres matériaux qui contribuent depuis longtemps à la réussite de ce genre d’opération. De quoi en tout cas méditer sur l’exposition que l’on vient de quitter tout en prolongeant l’esprit de ses initiateurs, au fond assez bienfaisant.

PHB

À découvrir jusqu’au 25 octobre

Photos: PHB
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3 réponses à De la coupe au calice

  1. Jeremy Moczarski dit :

    Just as with freedom and democracy, civilised customs must be constantly defended and celebrated – even with cutlery (and with humour)! Bravo

  2. Yves Brocard dit :

    Les Chefs d’Etat en visitent ne font pas que manger dans la porcelaine de Sèvres, ils repartent souvent avec un plat, voir un service, ou encore un biscuit. Le site de la Manufacture nous précise que « Ces figures en biscuit seront offertes comme présents diplomatiques par les rois Louis XV et Louis XVI pour montrer au monde le raffinement des arts décoratifs et du goût français et prouver la supériorité des savoir-faire de Sèvres. »
    Je me souviens que Chirac, recevant le président des Etats-Unis (était-ce Clinton, ou Bush junior ?), lui remis un tel présent, et se fit remettre en retour la photo de l’invité, encadrée. Chirac devint blanc. On a pas tous les mêmes valeurs…
    Bonne journée

  3. Antoine Landrot dit :

    Le développement d’une véritable industrie de l’art de vivre a été une stratégie française de « soft power ». On retrouve les conséquences de ce choix dans la puissance des grands groupes de luxe ou de cosmétiques (LVMH, Kering, Hermes, L’Oreal, etc.). Mais qui peut devenir une faiblesse dans certains cas : il est plus facile de boycotter les parfums et les champagnes français que les machines-outils allemandes…
    – pour la pause pique-nique, on pourra aussi traverser la route et venir se prélasser au bord de la Seine à la base nautique de l’Ile de Monsieur, en regardant passer les kayaks, les avirons et les dériveurs…

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