Dunoyer de Segonzac is back

Qui se souvient de Dunoyer de Segonzac ? Michel Charzat assurément. Sa biographie du peintre, qui fut célèbre et célébré en son temps, vient d’être publiée. Un beau livre, bien illustré, fourmillant d’informations, d’explications. Ne se laissant pas happer par les mouvements de l’avant-garde (on va parfois jusqu’à dire qu’il était l’«anti-Picasso», son à peu près exact contemporain), il peint et dessine des paysages, des natures mortes, des nus, des portraits. Il fera celui de Marcel Proust sur son lit de mort, ainsi que celui de Colette, et de bien d’autres. Il croque la vie, à l’huile, à l’aquarelle, à la plume, il dessine beaucoup, grave à l’eau forte, illustrera de nombreux livres. Il aime les couleurs sombres.
Pendant la guerre de 14, il est affecté à une section de camouflage nouvellement créée, qui rassemblait nombre d’artistes : Despiau, Vildrac, Forain, Landowski, Camoin et bien d’autres.

Une grande nouveauté quand on pense qu’au début de la guerre, les fantassins partaient au combat avec des pantalons rouges, «pour qu’ils puissent être vus de loin» ! Il ramènera de cette guerre nombre de dessins, capturant la vie et la mort au combat. Un peu oublié de nos jours, Segonzac (1884-1974) faisait partie, aux côtés de Matisse, Derain et Picasso, des peintres sélectionnés pour intégrer à sa création le MoMA de New-York. Il sera toujours apprécié des collectionneurs américains. En Grande-Bretagne aussi où il se fit des amis. À tel point que, lors du couronnement de la reine Elizabeth II, en 1953, Vincent Auriol, président de la République, «offre à la jeune reine deux aquarelles de Segonzac qu’elle a préférées au cadeau que la France avait prévu : un service de table de la manufacture de Sèvres» !  Mais c’est aussi Winston Churchill qui, peintre à ses heures, vient peindre aux côtés de l’artiste lors d’un séjour sur la Côte-d’Azur, ce dernier lui prodiguant ses conseils. En retour Segonzac se rend dans la propriété de Chartwell House où s’est retiré l’homme d’État. Là, ils continuent à peindre de concert.

Dunoyer de Segonzac est un nom qui raisonnait dans ma famille, celui-ci étant grand ami de mon grand-père, René Varin, qui fut au lendemain de la guerre (la dernière), Attaché culturel auprès de l’Ambassade de France à Londres. On eut pu croire que le conflit les aurait distancés, René ayant risqué sa vie en tant que résistant (aidant au passage Chagall à rejoindre l’Amérique), André s’étant lui compromis en 1941 dans «le voyage en Allemagne», pensant à cette occasion pouvoir faire libérer des artistes prisonniers.
André avait l’habitude de donner des nouvelles en écrivant sur des cartes postales à son ami René, mais comme il écrivait gros, il en remplissait deux, trois, voire quatre, dûment numérotées pour ne pas perdre le fil. Et au recto, figuraient le plus souvent des œuvres d’arts choisies, qui avaient une cohérence entre elles.

Dunoyer avait un atelier à Paris rue Bonaparte, une maison à Saint-Tropez, mais aussi une très grande (326 mètres carrés quand même) et belle maison à Chaville, où il vécut plus de cinquante ans. La maison est à vendre, malheureusement amputée du parc qui l’entourait.
Si l’œuvre de Dunoyer, foisonnante, très reconnaissable, représentée dans de nombreux musées de par le monde, se négocie actuellement à bas prix, c’est sans doute le moment d’en faire le plein, avant qu’elle ne redevienne recherchée. Elle fera l’objet de décembre 2021 à mai 2022 d’une exposition au musée de l’Annonciade de Saint-Tropez. En 2022, à l’occasion de sa réouverture, le musée d’Art moderne de Troyes qui héberge la donation à l’État des collections réunies par Pierre et Denise Lévy, exposera les œuvres de Segonzac de cette collection. L’homme arborera toute sa vie (voir photo) cette moustache un peu anachronique, «bien à lui», qui reflète sa personnalité, qui ne copie pas les autres mais fait comme il le sent.

 

Yves Brocard

 

« André Dunoyer de Segonzac : la force de la nature, l’amour de la vie »
Michel Charzat, 39 euros

Photo d’ouverture: coll. Yves Brocard

 

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13 réponses à Dunoyer de Segonzac is back

  1. J’applaudis à un tel article sur un tel artiste !
    (M’a fait rire cependant qu’il y soit malencontreusement écrit que celui-ci croque la vie – entre autres – sur des lits de mort.)

  2. hubert brocard dit :

    merci a Yves brocard pour cet article très interresant, qui donne envie de lire ce très beau et très complet livre sur Dunoyer de Segonzac.

    • Didier D. dit :

      Merci « à  » Yves « B »rocard pour cet article très « intéressant »

  3. FAUVEL dit :

    Dunoyer de Segonzac, merveilleux artiste, en effet, qui devrait être reconnu à sa juste valeur. Espérons que le temps saura le réhabiliter.

  4. Bruno GADAL dit :

    Merci à Monsieur Brocard de nous rappeler que Dunoyer de Segonzac était un grand artiste. J’ai appris beaucoup de choses dans cette article et je ne verrais plus ses œuvres de la même façon. Je suis curieux de lire ce livre pour en savoir plus.

  5. Didier D. dit :

    « Dunoyer de Segonzac est un nom qui raisonnait dans ma famille »
    Ou plutôt : résonnait .
    Et pourquoi : « is back » ?
    Oui c’est vrai l’anglais est plus facile : résonance mais résonner .

  6. Didier D. dit :

    Une oeuvre d’art choisie, mais des oeuvres d’art choisies .
    L’art est ici singulier et non pluriel .

  7. philippe person dit :

    Désolé mais je trouve cet artiste très fade, très « old school » pour faire plaisir à DD.
    Je comprends pourquoi il a fait le voyage de la honte : toute sa peinture sent le pétainisme.
    Vive l’art dégénéré !

    • BERNARD CHRISTOL dit :

      Vous vous méprenez, à l’évidence vous n’avez pas « encore » lu la très remarquable biographie de Michel Charzat qui vous aurait éclairé, mais surtout évité un jugement de coiffeur (profession que je respecte) hâtif !
      Quant à qualifier la peinture de DdS d’art dégénéré alors vous n’aurez plus à votre disposition de mot assez fort pour l’art « contemporain !

      • philippe person dit :

        C’est vous qui vous méprenez. Je croyais avoir été clair : employer l’expression « art dégénéré » ne concernait pas ce peintre bien vu des Allemands mais les peintres qualifiés de dégénérés par les N-S (genre Kandinsky)…
        J’ai vu des tableaux de D de S et c’est en connaissance de cause que je le critique…

  8. Daouadi dit :

    Merci Monsieur Brocard de nous parler de cet artiste trop méconnu. Vos anecdotes donnent envie de mieux le connaître…a quand une exposition a Paris ?

  9. Merci Bernard Christol, ce que vous écrivez est bien vrai, et j’y souscris tout à fait !

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