L’étal astronomique de l’épicier

Au fil de ses réflexions, calculs et découvertes, Johannes Kepler s’était persuadé que la nature avait le sens inné de l’équilibre. Que cet ordre ainsi nommé obéissait à des lois physiques. En les conceptualisant, ce natif de Weil der Stadt apparu il y aura 450 ans en décembre, aura contribué à la fondation de l’astrophysique. Il avait aussi décelé un lien entre l’harmonie, soit si l’on peut dire l’esthétisme de l’équilibre, et les mouvements planétaires. Il se trouve qu’il sera mis à l’honneur dans une salle de la future maison des mathématiques à Paris. Sous la forme d’une pyramide d’oranges qui symbolisera sa théorie des sphères, dite « empilement de l’épicier », celles que l’on voit encore aujourd’hui sur les étals des marchés. En déterminant la façon dont est constituée cette pyramide à partir d’une orange reposant dans le creux formé par trois oranges, il élaborera le principe de l’ajustement optimal, faisant l’objet de savants calculs qui ne seront établis et surtout définitivement démontrés qu’en 1998, grâce à un ordinateur.

Ces pyramides ont leurs limites. Quand Louis XIII était enfant, à peu près à la même époque, il ne pouvait que constater en échafaudant des châteaux de cartes, que plus la structure était élevée, plus l’ensemble devenait fragile. Mais ce n’est pas toujours vrai. En France par exemple, on peut superposer à l’infini des commissions d’enquêtes sur un même thème, sans que jamais l’édifice ne s’effondre et sans que cela n’intéresse le moins du monde la tribu des physiciens et astrophysiciens. Mais c’est une autre histoire.

Ce Johannes Kepler méritera bien en tout cas cet hommage qu’on lui prépare. Avec un sens de la poésie indéniable, il avait écrit lui-même et en latin son propre épitaphe qui disait: « Je mesurais les cieux. Je mesure maintenant les ombres de la Terre. L’esprit était céleste. Ici gît l’ombre du corps. » Malheureusement sa tombe a été détruite peu après par l’armée suédoise. Il est mort dans le dénuement, juste avant ses 59 ans.

Quand on pense qu’il professa entre autres choses définitives que « les aires balayées par le rayon vecteur joignant le soleil à la planète sont proportionnelles au temps », que « les carrés des temps des révolutions sidérales des planètes sont proportionnels aux cubes des grands axes de leurs orbites » et qu’il fit ses débuts dans la vie comme serveur dans un cabaret, puis ouvrier agricole, cela démontre à quel point rien n’est vraiment joué dans la vie tant que l’on n’a pas rendu son dernier soupir. Lui qui avait compris que l’ellipse prévalait sur le circulaire dans le domaine astral, avait de quoi ébahir ses pairs et même de leur en boucher en coin. Le bouchage de coin étant encore et par ailleurs, bien trop complexe pour être calculé, y compris par nos ordinateurs les plus puissants, comme quoi il y a encore de quoi s’amuser.

Un peintre inconnu en a fait son portrait dont il subsiste une copie. Avec son profil de trois quarts, la ressemblance est incidemment frappante avec Henri IV, peu ou prou son contemporain. Kepler tient dans une main ce qui semble être un compas et dans l’autre une sorte de parallélépipède. L’artiste aurait pu choisir une lunette astronomique dont le savant avait tiré un nombre impressionnant de théorèmes. En tout cas l’ovale de son visage se voit enrichi d’une paire de bacchantes si parfaites qu’elles pourraient se mettre à tourner telles une hélice et d’une barbe en trapèze quelque peu bombée venant lester un ensemble lui-même soutenu par une extravagante collerette. Là aussi tout se tient.

Si le portrait était à refaire, il faudrait le figurer debout sur un fil entre deux planètes et tenant dans ses mains le balancier qui permet d’éviter la chute. Tout est question d’équilibre on en conviendra, l’empilement d’oranges en est la preuve. Tout le reste est voué à la précarité.

 

PHB

Crédit images: 1) PHB 2) Domaine public Wiki
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2 réponses à L’étal astronomique de l’épicier

  1. MH Fauveau dit :

    Bonne rentrée !

  2. PIERRE DERENNE dit :

    Sympa ce rappel des cours de cosmographie enseignés à l’Hydro il y a bien longtemps (pour moi ☺). Merci

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