Dorothy Parker, entre rire et larmes

Le 22 août 2020, plus de cinquante ans après sa mort et après un improbable périple, les cendres de Dorothy Parker (1893-1967) trouvèrent enfin leur dernière demeure. Un guide touristique et admirateur inconditionnel du nom de Fitzpatrick les mena de Baltimore à New York où la célèbre plume new-yorkaise repose désormais auprès de sa famille dans un cimetière du Bronx. Celle qui avait souhaité comme épitaphe “Excuse my dust” (Excusez-moi pour la poussière) ne croyait pas si bien dire… Partant de ce fait d’actualité, la comédienne et metteuse en scène Zabou Breitman rend hommage dès aujourd’hui, dans un savoureux spectacle, à cet esprit allègrement acerbe dont la vie fut aussi fantasque et mouvementée que son dernier voyage.

Tandis que le public s’installe, Zabou Breitman va et vient sur le plateau. Elle  met en place son décor et s’adresse de temps à autre aux spectateurs. D’emblée le quatrième mur est brisé et  une connivence s’instaure avec la salle. Le spectacle débute alors. La comédienne est la narratrice de ce pittoresque fait d’actualité qu’elle découvre dans une édition récente du New Yorker. Puis, une autre édition du prestigieux magazine, à la couverture des années 20 cette fois-ci, l’amène à lire un texte écrit par Dorothy Parker. La comédienne prend alors place sur une banquette et la lecture devient spectacle. L’homme et la femme du “Dernier thé”, interprétés avec talent par la seule Zabou Breitman, nous jouent cette scène de désopilante goujaterie et de jalousie contenue qui sent terriblement le vécu.
Ainsi alterneront tout au long du spectacle récit et sketches, style indirect et style direct, instant présent et retour dans les années folles. C’est simple, astucieux et efficace. Pour ne pas casser le rythme et maintenir le contact avec le public, la comédienne ne quitte jamais le plateau et s’appuie sur un décor minimaliste (banquette d’époque, table, tapis, lampes) qu’elle arrange à vue, une régie qu’elle effectue elle-même et des changements de costumes exécutés derrière un paravent tout en discourant. Saluons à ce propos l’élégance des toilettes qui ne font que rendre justice à celle qui fut une pimpante flapper (ndlr : jeune fille à la mode des années 20 portant robe et cheveux courts) et fit ses débuts journalistiques au sein du magazine Vogue.

Zabou Breitman s’est appuyée sur  cinq nouvelles de Dorothy Parker pour fait revivre cette plume acerbe à l’âme désenchantée dont l’humour au vitriol firent les belles heures du New Yorker. Un homme à l’alcool triste, et résolu à cesser toute boisson alcoolisée, se prend une cuite avec la femme qui l’accompagne. Une femme s’ennuie à mourir à un dîner entre un voisin insipide et un autre, au physique avantageux, dont elle n’aperçoit que l’épaule et sur lequel elle se met à fantasmer. Une autre femme attend désespérément le coup de fil de l’être aimé… C’est tout à la fois drôle, grinçant et déchirant. Il y est toujours question du couple et d’amours malheureuses, d’alcool et de faiblesse humaine. Des thématiques qui reviennent comme une ritournelle et dévoilent, par littérature interposée, les tourments de leur auteure et son désespoir existentiel. Car Mrs Parker avait l’âme désabusée… Mais qui était au juste Dorothy Parker ?

Née Rothschild, mariée en premières noces à un Monsieur Parker, “Dottie” se rêvait romancière. Elle n’écrivit jamais de roman, mais de nombreuses nouvelles et critiques littéraires et théâtrales pour Vanity Fair, The New Yorker ou encore Esquire. Des poèmes – dont le recueil “Enough Rope” (Assez de corde pour se pendre) remporta d’ailleurs un beau succès – et quelques pièces de théâtre sont aussi à compter à son actif.
Surnommée The Wit (L’Esprit) pour son esprit mordant, elle fut, pendant les années folles, un des membres principaux du groupe littéraire d’avant-garde The Algonquin Round Table qui se réunissait dans le Salon Rose de l’Hôtel Algonquin, à New York, dans la 44ème rue. Ses amis étaient acteurs, humoristes, dramaturges, scénaristes, compositeurs de comédies musicales… Ils se nommaient Robert Bencheley, Robert E. Sherwood ou encore Francis Scott Fitzgerald. Si ses réparties cinglantes et amères y étaient hautement appréciées, ses proches connaissaient également ses phases de dépression profonde et sa nature désabusée. Elle fit d’ailleurs plusieurs  tentatives de suicide.

Dans les années quarante, comme de nombreux écrivains de son temps, elle fut un temps scénariste, contribuant notamment à l’écriture de “Cinquième Colonne” d’Alfred Hitchcock ou de “L’Éventail de Lady Windermere” d’Otto Preminger. Mais, victime du maccarthysme et de la Chasse aux sorcières qui s’ensuivit, elle fut éloignée des studios hollywoodiens. Sympathisante communiste, elle était très engagée politiquement et n’avait pas hésité, dans les années 20, à défendre  Sacco et Vanzetti ou encore, en 1936, à contribuer à la fondation de la “Hollywood Anti-Nazi League”. À la fin de sa vie, c’est au défenseur des droits des Noirs-Américains Martin Luther King qu’elle légua ses droits d’auteur.

Tout au long de sa vie, Dorothy Parker espéra écrire son roman comme elle chercha l’amour. Mariée à trois reprises, dont deux fois au scénariste Alan Campbell, mort en 1963 d’une overdose, sa vie sentimentale ne fut pas un long fleuve tranquille, faisant dire à cette désillusionnée qui noyait son désespoir dans l’alcool  “Oh, la vie est une merveilleuse chanson, un pot-pourri d’impromptus, et jamais l’amour ne tourne mal. Et moi, je suis Marie, reine de Roumanie.”

“Dorothy” est un fidèle hommage à cette personnalité complexe et enlevée, fine et d’une redoutable lucidité. Le spectacle est drôle et émouvant. Zabou Breitman y est formidable, faisant preuve d’une merveilleuse palette de jeu, jusqu’à nous régaler d’un court numéro de claquettes. À voir!

Isabelle Fauvel

“Dorothy”, d’après les œuvres de Dorothy Parker, écrit, mis en scène et interprété par Zabou Breitman, du 8 septembre au 24 octobre au Théâtre de la Porte Saint-Martin

Spectacle vu au Festival d’Avignon en juillet 2021 au Théâtre du Chêne Noir

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