Françoise Gilot, les 100 ans de la femme-fleur

Cela fait tellement longtemps que Picasso a disparu, en 1973, que l’on a du mal à se dire que l’une de ses compagnes vit toujours. Et pourtant, si Dieu lui prête vie, Françoise Gilot aura 100 ans cette année. Il faut dire que lorsqu’ils se sont rencontrés, durant l’Occupation, près de quarante ans les séparaient. Lui venait de dépasser la soixantaine et elle était dans ses vingt ans, à peine plus. Elle fit sa connaissance alors qu’il avait son camp de base rue des Grands Augustins à Paris. Dans un livre paru en 1964 « Vivre avec Picasso », elle racontait en substance qu’elle ne l’avait pas désiré mais qu’elle était en revanche fortement « décidée » à établir une relation approfondie avec l’artiste. Françoise Gilot était à tous points de vue, y compris dans la pratique de l’art, une débutante. Dans ses mémoires elle s’était appliquée à livrer la part de l’homme qu’était Picasso, c’est-à-dire pas forcément la plus valorisante, dévoilant notamment son caractère difficile et manipulateur.

Au point que Picasso lui fit un procès, comme le détailla dans un livre récent Olivier Widmaer-Picasso son petit-fils, via Maya, la fille de Marie-Thérèse Walter. C’est à cette dernière que d’une certaine façon, Françoise Gilot succéda, sans oublier Dora Maar également dans les parages au même moment. Il perdit son procès, les juges ayant estimé que Picasso n’avait pas la propriété exclusive des souvenirs en commun. Il reste que l’on peut toujours épargner ceux que l’on a aimés mais Françoise avait choisi, d’évidence, de dénoncer une part de réalité, de sa réalité. Par exemple, Françoise affirmait sous sa propre plume que Picasso l’avait poussée à avoir deux enfants (Claude et Paloma), alors qu’une femme de l’ombre -Geneviève Laporte-, prétendit dans un livre de souvenirs plus tardif que selon Picasso, c’était Françoise qui avait insisté.

Quoique bien plus jeune (elle était née en 1921 contre 1881 pour Picasso), Françoise Gilot portait un regard lucide non seulement sur sa relation avec l’artiste mais aussi sur les autres. Notamment au moment de la « passation de pouvoir » entre Olga et Marie-Thérèse. « Suivant la logique particulière de Pablo, écrivit-elle, Marie-Thérèse remplaça Olga dans le rôle de celle qu’on fuit. Dora Maar vint prendre des photos et Marie-Thérèse se trouva dans la situation d’Olga ». Il n’empêche que bien rares sont les femmes pouvant se vanter d’avoir fait l’objet de portraits aussi éblouissants que ceux réalisés par Picasso. « La femme qui pleure » (Dora Maar) ou « La femme-fleur » (Françoise Gilot) constituent des sommets ébouriffants de créativité. D’une certaine façon, il en a transposé le meilleur, laissant de côté les indiscrétions qu’autorise l’écrit.

Le livre de Françoise Gilot (co-rédigé avec Carlton Lake), reste bon à lire ou à relire. Le fait de découvrir que Picasso avait son caractère, ses défauts et ses qualités, ne fait qu’établir qu’il n’était ni surhumain ni un saint. Ce qui au fond est plutôt rassurant. Cela nous permet de revivre cette période d’après-guerre avec les artistes et écrivains ayant survécu, résisté, voire les deux. Et de visiter avec le regard de Madame Gilot l’appartement d’Apollinaire que lui fit découvrir, Jacqueline, l’épouse de l’écrivain. Elle évoque notamment sa canne, celle qui l’avait enchanté puisque le bois s’était mis à fleurir au printemps suivant son acquisition. Cet appartement abandonné en l’état par Jacqueline, lui avait donné envie de pleurer, se rappelait-elle.

Tout cela doit aujourd’hui paraître bien lointain à cette native de Neuilly-sur-Seine qui poursuivit en solo sa carrière de peintre. Elle exposa à maintes reprises, de Paris à Philadelphie en passant par Londres. Elle a également illustré des livres de Paul Éluard ou de Jacques Prévert. Si Françoise Gilot avait fini par quitter Picasso, c’était peut-être en raison de ses sautes d’humeur mais aussi afin d’être une artiste libre et non plus simplement la « compagne de ». Picasso lui avait beaucoup donné, y compris de la joie. En témoigne cette photo de Robert Capa où l’on voit Françoise marchant sur une plage et sous un parasol tenu par Pablo. Leurs sourires sont sans équivoque sur l’authenticité de ces moments précieux où tout semble s’accorder à la perfection.

PHB

« Ma vie avec Picasso » Françoise Gilot/Carlton Blake, éditions Calmann-Lévy 1964

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4 réponses à Françoise Gilot, les 100 ans de la femme-fleur

  1. Leroy pierre dit :

    A signaler : une exposition Françoise Gilot au Musée Estrine de Saint-Rémy-de-Provence –
    Cette expo donne une idée assez précise des talents de peintre de Françoise Gilot qui a rencontré aux EU un succès appréciable. La période la plus intéressante semble bien être celle pendant laquelle elle a partagé l’atelier avec le « maître »…et copié sa peinture.
    Son heure de gloire aura été de le quitter et de dire et écrire la tyrannie qu’il aura exercée et son dépit lorsqu’elle part ( « on ne quitte pas Picasso! ») . Ce qui lui vaudra ostracisme et pétition d’une partie de la société artistique de l’époque. Plus qu’un talent original elle est d’abord été « celle qui a osé quitter Picasso ».
    expo jusqu’au 23/12/2021.

  2. Yves Brocard dit :

    Merci pour cet anniversaire, qui sera célébré dans deux mois et demi. Ce livre d’abord édité aux Etats-Unis, fut de nombreuses fois réédité. Par discrétion, ou pour éviter les procès, la version française a été légèrement édulcorée, gommant quelques souvenirs intimes sur les personnes alors encore vivantes. Les Américains sont moins regardants au plan légal sur les confidences intimes.
    Picasso, qui mettait à nu sur la toile toutes ses compagnes (sauf Eva Gouel, j’aurai l’occasion d’y revenir), ne supportait pas d’être lui-même mis à nu dans les souvenirs publiés par celles-ci. Il avait fait le même tollé quand Fernande Olivier publia les siens, « Picasso et ses amis », en 1933. Pour reconnaître plusieurs décennies après que ce livre était celui qui était le plus authentique sur la période du Bateau Lavoir. Pour autant il l’empêcha, vers la fin de sa vie, en 1957, de publier un nouvel opus, qui s’annonçait plus intime, plus torride pourrait-on dire. Pour mettre fin à ce projet, dont le but pour Fernande était de pouvoir vivre et manger, il lui fit parvenir un chèque d’un million de francs de l’époque (« anciens francs », soit l’équivalent d’environ 20 000 euros de nos jours) par l’intermédiaire de Marcelle Braque.
    Bonne journée

  3. Fauvel dit :

    Merci, Philippe, de nous rappeler l’existence de ce livre qui montre avant tout, selon moi, le quotidien vécu auprès d’un génie, d’un artiste dont la vie n’était que création, curiosité et expérimentation. Si Picasso avait bien des défauts, son génie ressort encore grandi dans ce livre et je me suis toujours demandé pourquoi il en avait pris ombrage.

  4. anne chantal dit :

    Françoise est la Seule Femme qui a osé quitter le grand homme ! comme le rappelle Pierre Leroy; peut-être une blessure d’amour-propre un peu difficile à guérir ..

    Oui, merci de rappeler ce livre.

    Picasso aimait tellement organiser son « harem », entre hôtels et villas proches ; cf Royan, avec Marie Thérèse, l’enfant, et Dora Maar tout près, tandis qu’Olga était restée à Paris !

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