Emballé c’est pesé

Les Égyptiens en avaient fait un art mortuaire. Depuis les momies, l’emballage s’est beaucoup diversifié, devenant une industrie à part entière et jusqu’à prévaloir, notamment en parfumerie, sur le produit lui-même. Lorsque l’artiste Christo finalisait en 1985 l’habillement du Pont-Neuf à Paris (photo ci-contre), il perpétuait son propos d’artiste qui était en quelque sorte l’emballage absolu, l’emballage pour l’emballage, l’emballage en soi, avant celui de plaire et d’étonner. Quatre hectares de toile avaient été nécessaires afin de parer de rose le plus vieux pont de la capitale. Pour ce projet à plis qu’il avait financé de sa poche, sans le concours des autorités françaises, il avait réussi à mettre d’accord et Jack Lang, ministre de la culture et Jacques Chirac alors maire de Paris. Disparu au mois de mai 2021, Christo Javacheff (né en 1935) n’aura pas eu le temps de voir l’empaquetage de l’Arc de Triomphe dont l’achèvement est prévu pour le 18 septembre de cette année.

Contrairement à d’autres artefacts urbains, l’art de Christo est réversible par définition, transitoire par préméditation. Le 3 octobre en effet, l’un des plus célèbres monuments de Paris réapparaîtra dans son apparence originelle, après quelques jours d’enchantement. De quoi faire rêver par esprit de suite nombre de Parisiens qui voient Paris se transformer bon gré mal gré, sans que l’inspiration soit, loin s’en faut, toujours au rendez-vous. Il n’est que de citer les fontaines des frères Bouroullec, en bas des Champs-Elysées, celles qui hérissent par leur stérile inélégance, les mieux disposés des flâneurs.

Emballer, ensacher, empaqueter, conditionner, sont des actions propres à l’espèce humaine. Elles procèdent de la nécessité de protéger quelque chose ou de l’en parer, afin d’ajouter du plaisir au plaisir. C’est toute la différence entre le paquet simple et le paquet cadeau. Le vêtement n’échappe pas à la règle, entre le tablier du soudeur et la robe du grand couturier. Chaque matin l’homme d’hier et d’aujourd’hui s’emballe, se remballe et quand vient le soir, il se déballe. Jusqu’à son ultime journée où ses proches, dûment vêtus de noir, empaquetteront ses restes.

La langue française pratique avec une grande liberté, l’usage multiple de ses vocables. C’est son agrément. À l’engouement ou la tocade, figure aussi l’emballement, façon de communiquer son enthousiasme pour un film ou un humain. Le cœur, les yeux et l’esprit aiment à s’emballer pour autrui, c’est ainsi, on ne peut pas toujours être morose. Sauf dans le cas d’une action de police bien sûr où le fait d’emballer un individu -allez hop, au ballon- revêt une toute autre motivation. Tout comme de draper un discours politique d’intentions bienveillantes afin de compenser son inconsistance, ça s’est encore vu tout récemment.

Dans ces conditions, l’enveloppement de l’arc de Triomphe avec un tissu coloré oscillant en le bleu et l’argent, devrait nous distraire de nos préoccupations par effet (et soif) d’étonnement, même si la recette est désormais connue. Toute la joie du packaging comme l’on dit en anglais, nous fera provisoirement du bien. D’autant que l’emballage n’est plus vraiment de saison. Les voix écologistes sont là pour nous rappeler le vilain bilan carbone du conditionnement sous toutes ses formes. Les supermarchés se mettent progressivement au vrac dans la mesure du possible. Encore que recueillir son besoin en noisettes nécessite tout de même un sac en papier (nous ne sommes pas des écureuils) et que l’on ne peut décemment, faire directement passer le poisson du marché gisant sur son étal de glace, à la poche de son pantalon. Sauf à le manger sur place ce qui est peut-être la prochaine étape d’une économie circulaire dont on ne cesse de nous vanter les bienfaits.

Notre existence débute dans ce qu’il est convenu d’appeler le « sac amniotique »,  la housse suprême qui se déchire au moment de l’accouchement. Notons que le premier geste de la sage-femme est d’envelopper le bébé. Dans certains cas, très rares au demeurant, il naît avec son sac. C’est dire toute la profondeur de notre passif dans ce domaine, lequel nous rend si conciliants voire admiratifs devant l’art de Christo.

 

PHB

Photo: ©Jeanne Bonnet

 

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9 réponses à Emballé c’est pesé

  1. N’y-a-t-il rien d’autre à faire sur cette planète que de l’emballage ? Et le bilan carbone de pareille opération, la bâche étant en polypropylène aluminisé…
    N’empêche, quand ce pseudo-sculpteur voulu s’attaquer au Pont du Gard, merde alors ! les provençaux dirent non à son « paquet-cadeau » !
    André Lombard.

  2. L’art de la bâche.
    À chacun sa bonne étoile paraît-il, et cela aussi bien en art contemporain qu’en business puisque visiblement aujourd’hui les deux, la plupart du temps, ne font qu’un !
    Aussi, bien que décédé le 31 mai 2020 à New-York, les affaires du pseudo-sculpteur Christo – qui n’ont pas hésité à bifurquer, comme prévu par testament, derrière son corbillard passant, lui, la porte du cimetière – reprennent dare-dare du poil de la bâche ces jours-ci à Paris !
    En effet, ne voilà-t-il pas que cette fois c’est au tour de l’Arc de Triomphe, monument et tout autant mémorial hyper-national s’il en est, d’être en train de se faire tout bêtement empaqueter comme un vulgaire sans que pourtant, pour autant, personne ne bronche dans les divers rangs déjà installés en ordre de marche vers les présidentielles ! Ni à droite, ni à gauche, ni en haut, ni en bas, pas plus à Paname, qu’en province ! Pas la moindre nuance de Vert au créneau, aucun architecte, non plus – pourtant d’habitude si volontiers tatillon –, des Bâtiments de France levant les bras au ciel. Le talent bâché de feu Christo leur en boucherait-il vraiment un coin, mine de rien, ou s’agit-il d’autre chose ?

    Coût de l’opération, 4 millions d’euros siouplaît ! À l’annonce de quoi, Bonjour m’sieur-dame ! j’entrevois d’ici Archimède-le-clochard, deux doigts à la tempe, tournant prestement les talons devant le comptoir en décomposant ! Mais, bon sang de bon sang, quand on vous dit que ce n’est pas le contribuable qui morfle ! Ouf de chez ouf, on l’a échappé belle, c’est Christo and Co qui régale ! Alors, pourquoi se plaindre, puisque c’est gratos, que c’est un cadeau posthume – et pas en toc, ni des moindres, dites donc ! – fait à la France à la face du monde !

    En foi de quoi, ni une ni deux maintenant, rentrez-vous bien ça dans la tête, rien d’autre ! Capito ?

    Cependant, entre nous, quelle énormité ! Au fond, à la taille du monument, je veux dire de ce qu’il représente qui, tacitement, est ainsi pris à la fois pour caution en même temps qu’en otage ! Oh, une de plus, une de moins, me diront les défaitistes de tout poil ; aux derniers degrés de dérive où nous en sommes… Pour ma part, c’est plus fort que moi, rien à faire, je ne peux m’empêcher de penser, entre autres et à la fois, aux sans-dents et à ceux qui ne sont rien – souvent les mêmes, d’ailleurs réellement sans abris de surcroît ! – parce qu’ils se trouvent encore et toujours en première ligne et que, de près comme de loin, chaque nouveau scandaleux gaspillage de ce genre aggrave encore et encore la précarité de leurs situations. Comble de malheur, notre vieux Coluche n’est plus là pour nous faire au moins se fendre un peu la poire ou la pêche avec lui de tout ça, tous en chœur, pour garder le moral !
    Pour garder « l’œuvre » par contre, n’ayons crainte, il y aura la police, l’armée, et tout le tremblement. Comme pour la tour Eiffel, une prochaine fois ; en attendant gardée au frais tel un Champagne ?

    Maintenant, une question – simple curiosité malsaine, diront les uns – tout à fait en dehors des clous de l’indécente histoire de fric, un fric de dingue comme dirait l’autre : le bilan carbone de l’opération, lui, quel est-il vraiment, en réalité ?
    Voilà ce qui – aujourd’hui que la planète suffoque à mort, nous et nos enfants avec – pourrait être examiné en amont de chacun de tels projets aberrants et pourrait servir de levier pour peut-être inverser légalement les forces en pareil cas, diront les autres dont je suis, évidemment.

    André Lombard

  3. Yves Brocard dit :

    Je suis un fan de Christo (avec son épouse) et de ses emballages, très originaux, emblématiques (le Reichstag !), magnifiques, éphémères, autofinancés et, quoi qu’on en dise, peut polluants, bien moins que les voitures, bus, camions, motos, scooteurs qui tournent autour de l’Etoile en une heure ! Et je suis ravi qu’on lui rende ainsi cet hommage.
    Bravo et merci pour cette mise en perspective des emballages qui ponctuent nos vies.

  4. A quand la Burqa Christo ?
    Pourquoi et à quel titre devrait-t-on lui rendre hommage à ce multimillionnaire ?

  5. bruno charenton dit :

    il y a ceux et celles qui sont soudain obnubilés par le déballage de leur hantise, incompréhension, horreur, de l’emballage façon Christo.
    on se souvient du Pont Neuf, dont la « chiraquie » de l’époque, avait fait son cheval de bataille réactionnaire avant de faire lamentablement machine arrière tandis que l’enthousiasme et l’émerveillement gagnaient.
    Dans d’autres grands lieux, villes, espaces géographiques, il y a longtemps qu’on ne s’indigne plus de la démarche respectueuse de Christo : parce qu’elle est essentiellement éphémère, en rien destructrice, et qu’elle focalise en grand un travail (et pas un caprice) artistique d’envergure.
    pourquoi faut il encore et encore que Paris, ville d’art de d’histoire, se rigidifie exemplairement par l’expression de malaise, d’infamie, de suspicion de roublardise artistique devant l’oeuvre panoramique et édifiante d’un artiste majeur, qui vient momentanément proposer une lecture autre d’un lieu emblématique de la ville.
    on se le demande…

  6. Toutes mes excuses, je me suis gouré : le coût de l’opération Christo and Co à l’Arc de Triomphe n’est pas 4 millions d’euros mais ……………………………………………..14 !!!!
    André Lombard

  7. philippe person dit :

    Merci à André Lombard d’apporter la contradiction !
    J’ai l’impression que sans lui, on aurait un unanimisme pour ce qui est quand même de l’art académique contemporain.
    J’ai dû mal à comprendre ceux qui défendent Christo et déglinguent Jeff Koons. Pour moi, c’est kif kif…
    Pour être vulgaire : « ça pisse pas loin » et, sans vouloir offenser Monsieur Charenton, sa défense est vraiment symptomatique des défenseurs de ce genre de travaux. Sa dernière phrase, je la note dans mon carnet à phrases inoubliables : « oeuvre panoramique et édifiante d’un artiste majeur » « qui vient momentanément proposer une lecture autre d’un lieu emblématique de la ville »…
    Merci pour la « lecture autre » !
    ça me rappelle Le Vigan (Robert) dans Quai des Brumes : il était peintre, il peignait es choses derrière les choses… i

    • bruno charenton dit :

      merci pour ces références douteuses d’un autre temps, auquel s’abreuvent les racines de Monsieur Person, qui me gratifie d’une phrase inoubliable, pour son « petit carnet » (toujours ça de pris).
      eh oui, être spectateur d’ une réalisation artistique qui vous dépasse, dans toutes ses dimensions, peut être qualifié d’expérience, et sans considération pour son « supposé » coût pharaonique :
      on peut freiner et renâcler, ou s’ouvrir à ce qui s’offre en trois dimensions… autour de soi, devant soi, inscrit dans la trame d’une ville qu’on aime et qu’on peut aimer aussi pour ses métamorphoses, en y vivant une expérience.

      j’ignore ce que Monsieur Person sait de l’art contemporain, qu’il qualifie comme un expert de comptoir de « Kif, kif, ça pisse pas loin… » ; laissons le faire le grand écart critique entre Koons et Christo, en espérant qu’il trouve le point d’équilibre, entre la vulgarité et l’application.

      • person philippe dit :

        encore désolé de vous avoir vexé. Tout ça ressemble à de « l’emballement médiatique » et ne mérite pas une ligne de plus ni une querelle bien inutile…

        Par ailleurs, on m’a envoyé un DVD de « Christo, Marcher sur l’eau » un documentaire qui sort justement cette semaine sur nos deux emballeurs. Si ça vous intéresse, pour me faire pardonner, je vous l’envoie…

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