De nacre et d’os

L’envers de ce coquillage a été percé de trous et, ce qu’il en est tombé comme autant de confettis, servira à faire des boutons à l’ancienne ne devant rien à la matière plastique. Auparavant il aura fallu meuler la croûte de façon à ce que les deux côtés du futur bouton se valent. L’une des visiteuses du musée de la Nacre et de la Tabletterie situé à Méru (Oise), assurait cette semaine que dans son enfance, en Nouvelle Calédonie, on pouvait aussi plonger le coquillage dans un verre de Coca ou de martini afin de débarrasser l’ensemble des agrégats marins. Sauf que dans ce vieux pays de Thelle, au début du 18e siècle, ces deux boissons n’existaient pas. Il fallait ouvrager à la main et, ce lent labeur occupait hommes, femmes et enfants, rémunérés par ordre décroissant. L’on traitait dans ces ateliers des coquillages venus du Pacifique mais pas seulement puisque, à partir d’os de vaches, il était également fabriqué des manches de brosse ou des pièces de dominos. Toute cette histoire à peu près disparue est concentrée dans ce bâtiment, extraordinaire à maints points de vue.

Ce musée ouvert en 1999 raconte mille anecdotes et continue (un peu) à produire selon les vieilles méthodes. Il compte pour ce faire une chaudière dont la vapeur servait à entraîner, via tout un jeu de poulies et de courroies, les machines qui ont fait entrer la tabletterie dans l’ère industrielle. Lorsque le système toujours vaillant est mis en marche, le bruit qu’il dégage donne une bonne idée des très difficiles conditions de travail. Il y a d’ailleurs eu en 1909, des émeutes sociales à Méru, violemment réprimées par les forces de l’ordre. Face à la raréfaction de la matière première due à la surexploitation, les « patrons » avaient voulu baisser des salaires déjà très bas. Les ouvriers, femmes et hommes s’en étaient fort justement indignés en se croisant les bras.

Dans cette usine transformée en musée, le visiteur se rend compte l’œil ébahi quels soins minutieux il fallait pour fabriquer chaque pièce d’un jeu de dominos, chaque bâtonnet d’un jeu de jonchet, chaque bouton, chaque sphère de chapelet, peignes et autres objets variés comme le garnissage des jumelles de théâtre, le tout constituant la matière de la tabletterie. Parmi ceux-ci, il y avait aussi les supports d’éventail dont l’assemblage se faisait à Paris, à six heures de cheval. L’exposition permanente nous explique que les éventails ne servaient pas seulement à se rafraîchir, les jours de chaleur. Leur maniement subtil, dans une sorte d’alphabet sémaphore, se mettait au service du flirt, dans les soirées de bonne société. Ainsi pour dire « je t’aime », il convenait de placer une main sur le cœur tout en tenant l’éventail devant les yeux. Pour signifier « puis-je te parler en tête à tête », la bouche devait effleurer sans cesse l’éventail fermé. Et en cas d’alerte afin de faire savoir que l’interruption d’une conversation muette devenait urgente, il suffisait de frapper avec l’éventail entre les doigts de la main gauche. Tout cette communication codée, galante et pour le moins surannée, ne peut aujourd’hui que ravir l’imagination. Mais c’est une langue disparue.

En soi cette exposition permanente récompense à elle seule les cinquante minutes de train reliant Paris à Méru. Cependant jusqu’au 22 janvier s’y tient également une exposition temporaire dédiée au coquillage kitsch, c’est-à -dire celui que l’on a transformé en souvenir de bord de mer (ci-contre, figurant Villers-sur-Mer). Ces pièces se voient complétées d’œuvres d’art brut assez déconcertantes.

Depuis toujours, les coquillages nous parlent, sans doute la faute à l’enfance. Il est bien connu qu’ils conservent dans leur for intérieur le bruit de la mer et certains jours de chance, le chant des néréides et autres nymphes subaquatiques de la mythologie peut se faire entendre, mais l’on ne se doutait pas forcément qu’autrefois, leur nacre était à l’origine des boutons qui fermaient les vêtements après les innombrables étapes d’un façonnage de haute précision. Le plastique les a tués.

PHB

Musée de la Nacre et de la Tabletterie, 51 avenue Roger Salengro, 60110 Méru. Tous les jours de 14h30 à 18h30 sauf le mardi

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4 réponses à De nacre et d’os

  1. Tout un art véritable qui n’a rien à voir avec l’actuel tape-à-l’œil d’Othoniel !

  2. Gallois philippe dit :

    Très intéressant et très beau texte qui donne envie de se déplacer vers ce musée je ferai certainement le déplacement jusqu’à Méru.
    Coquillage contre mon tympan, j’écouterai comme dans mon enfance la mer et son imaginaire.

  3. Esquirou dit :

    Toujours aussi formidable, ce regard curieux et prêt à s’émerveiller du journaliste !
    Très joli texte. Merci Philippe !

  4. Isabelle Fauvel dit :

    Je ne regarderai plus les boutons de la même façon… Merci, Philippe, pour cette jolie découverte.

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