Salins-les-Bains et Arc-et-Senans, la route du sel franc-comtoise

Les salines de Salins-les-Bains et d’Arc-et-Senans, distantes d’une vingtaine de kilomètres, témoignent de l’extraordinaire activité de production de sel en Franche-Comté au fil des siècles. Avant l’invention de la conserve (1795), le sel, principal agent de conservation des aliments, était vital. Devant son importance économique, le sel a été l’objet d’un monopole royal et soumis à la Gabelle, il est devenu un instrument de pouvoir dès le Moyen-Age.
La Grande Saline de Salins-les-Bains, l’un des plus vastes complexes industriels d’Europe au Moyen Âge et à la Renaissance, a été en activité sans interruption pendant 1200 ans. Son exploitation n’a cessé qu’en 1962 si bien qu’elle a conservé ses installations techniques et préservé son architecture. La saline royale d’Arc-et-Senans a été construite au XVIIIe siècle. pour suppléer la production de Salins-les-Bains qui s’appauvrissait. Visiter les deux sites, inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco, en commençant si possible par Salins-les-Bains, permet de mieux comprendre l’histoire de cette production de sel. Dont acte.

Salins-les Bains
A Salins, l’évaporation d’une mer préhistorique a déposé sous la saline une couche de sel de 40 m d’épaisseur, enfouie à 246 m sous terre. Du fait de la géologie du massif jurassien, les eaux de pluie qui s’infiltrent dans le sous-sol lèchent la couche de sel pour rejaillir en surface sous forme d’eau salée. Le sel est obtenu par des techniques d’extraction et de fabrication à partir du captage des sources d’eau salée. Une galerie souterraine a été bâtie au Moyen-Age pour protéger les précieuses eaux salées. On y descend par un escalier étroit, et, on aboutit, ébloui, dans une sorte de cathédrale romane majestueuse au vaisseau long de 162m et aux belles voûtes en berceau. La galerie abrite les deux puits d’extraction d’eau salée et une installation de pompage des XVIIIe et XIXe siècles. Le système, composé d’une roue à augets de 5 m de diamètre, d’un balancier en bois et d’une pompe plongeant à 246 m de profondeur, se balance toujours aujourd’hui et à la seule force de l’eau de la rivière de Salins.

On se détache de ce mouvement perpétuel fascinant pour revenir en surface dans le bâtiment des évaporations. C’est là (ci-contre) qu’on procédait à la cuisson de la saumure jusqu’à évaporation de l’eau dans de gigantesques cuves métalliques de plusieurs mètres appelées poêles. Ici, rien n’a bougé : les charpentes érodées par le sel, les outils servant à la récolte, les chariots remplis de sel et surtout la poêle à sel, la dernière de France. Grâce à de nombreuses archives sur la saline, on peut suivre l’évolution de ses installations techniques depuis le XIVe s. Elles montrent également que la saline se distinguait par ses avancées sociales. Dès le XVe siècle, une culture d’entreprise paternaliste permettait aux 800 ouvriers de bénéficier, hommes ET femmes (il faut le souligner), d’avantages sociaux inédits pour l’époque médiévale : salaire double, primes de travail et indemnités versées en sel, allocations sociales et mutuelle, pensions et retraites, primes de naissance…

Au XVIIIe siècle les eaux de Salins s’appauvrissant, il a fallu faire appel à des techniques nouvelles pour augmenter leur teneur en sel. Il est alors décidé de construire un bâtiment de graduation de 500 m de long que le site de Salins ne peut pas accueillir. Il sera construit à Arc-et-Senans où les eaux salées de Salins seront acheminées par le premier «pipe-line» d’Europe, un saumoduc de 21 km, constitué de troncs d’arbres emboités. Le bâtiment de graduation servait à améliorer les capacités d’évaporation des saumures. Il était constitué d’une charpente à étages sur lesquelles étaient placées des planches avec de la paille. L’eau salée était montée au sommet grâce à des machines d’où elle s’écoulait lentement en passant sur de la paille avant d’être recueillie dans le bas. En s’écoulant, l’eau exposée au vent s’évaporait et se concentrait.

Arc-et-Senans
À quelques kilomètres de Salins-les-Bains, changement total de décor. L’entrée de la saline d’Arc-et-Senans, dotée d’imposantes colonnes doriques, évoque davantage un théâtre qu’une manufacture industrielle. Impression encore accentuée en franchissant l’entrée et découvrant une architecture grandiose de dix pavillons de même élégance disposés en demi-cercle. Nous sommes en face du chef-d’œuvre de Nicolas Ledoux, architecte visionnaire du siècle les lumières. C’est à lui que Louis XV a fait appel pour construire de 1775 à 1779 cette saline. Ledoux souhaitait que la saline soit harmonieuse et parfaite comme la voûte céleste : « Sa forme est pure comme celle que décrit le soleil dans sa course » disait-il. Et c’est une véritable cité-usine utopiste que Ledoux a bâtie. Un lieu clos qui devait abriter une communauté d’une harmonie parfaite. Au XVIIIe siècle près de deux cent cinquante personnes y vivaient et travaillaient en autarcie et en famille. Chacun mettait la main au sel. Les hommes, ouvriers sauniers pour la plupart, étaient secondés par les petites mains des enfants alors que les femmes façonnaient les pains de sel. Dans cette étuve humide et close dont ils ne pouvaient pas s’échapper, occupés à des tâches harassantes, leur quotidien était sans doute différent du doux rêve de Ledoux.

Il ne reste rien de l’outil industriel de la manufacture d’Arc-et-Senans, abandonnée en 1895 par manque de rentabilité. Mais les bâtiments, détériorés après abandon du site, ont tous été restaurés à partir de 1982. Face à l’entrée, la maison du directeur à colonnes doriques (ci-contre), est entourée des Bernes Est et ouest (ateliers de cuisson des eaux salines dans de gigantesques poêles). Le pavillon des Commis, dédié à l’administration de la saline, et celui de la Gabelle, dédié à son administration fiscale, leur font suite. Dans le demi-cercle, les Berniers Est et Ouest abritaient les habitations des ouvriers avec des chambres, un foyer avec réfectoire commun et, à l’arrière, des jardins potagers. Dans le demi-cercle, se trouvaient également la tonnellerie pour la fabrication de tonneaux à sel ainsi que la maréchalerie, où l’on fabriquait des outils et réparait les poêles.

Devant la belle architecture d’Arc-et-Senans et ses jardins verdoyants, on a du mal à imaginer qu’elle abritait une usine de production de sel où la vie éreintante des ouvriers sauniers n’avait rien d’une utopie. La visite guidée de la saline de Salins-les-Bains, encore imprégnée de son passé récent, nous fait mieux prendre conscience de leurs dures conditions de travail et notamment grâce aux témoignages vidéo des derniers ouvriers sauniers qui y ont travaillé jusqu’à sa fermeture en 1962.

Lottie Brickert

Photos: ©Lottie Brickert

 

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4 réponses à Salins-les-Bains et Arc-et-Senans, la route du sel franc-comtoise

  1. Lenys dit :

    Merci pour ce retour historique de ce site magique,symbolique et imaginaire

  2. anne chantal dit :

    Un grand merci pour toutes ces explications « techniques » qui nous aident à mieux comprendre le fonctionnement de cette oeuvre utopiste, mais totalement séduisante.
    Découvrir cette architecture en demi cercle est magique.. choc visuel tellement inattendu dans cette région.

  3. Dominique dit :

    Bravo , c’est une découverte

  4. Raymond dit :

    Belle invitation à découvrir un patrimoine industriel remarquable, heureusement conservé.
    Merci Lottie pour cette visite, qui ne manque pas de sel (?! …trop facile)

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