Echos de la Grande Guerre

La main qui a laissé échapper ce pistolet rouillé n’est plus là. Peut-être qu’elle a fait le repas des rats qui se pressaient autour des cadavres abandonnés. Dessous il y a des munitions altérées par le temps, de même qu’un improbable flacon. Après 10 ans d’existence, le Musée de la Grande Guerre, à Meaux, expose 10 ans de donations issues de familles ou de collectionneurs, sans compter les achats (1). Remarquable établissement qui a voulu situer sa scénographie à hauteur des hommes et des femmes ayant été les acteurs, sur ce qu’il est justement convenu d’appeler le théâtre des opérations. Cet immense musée de béton, le plus grand d’Europe sur ce thème, a recueilli et restauré des milliers d’objets, du plus petit comme un briquet à un impressionnant char Renault biplace, modèle 1918. Sur la dernière décennie 30.500 pièces ont été déposées par quelque 2000 donateurs. Accentuée par quelques effets sonores et images animées, la guerre de 14/18 est ici restituée au point de déciller nos yeux, imprudemment blasés par un long temps de paix.

Une prothèse de jambe, une aquarelle représentant un canon de 75, une maquette de cuirassé, une lettre d’amour, ou l’inévitable bague créée à partir de l’aluminium des fusées d’obus, toutes ces traces nous interpellent en lâchant de perceptibles quoique très lointains échos. Oui cette dévastation qui fit d’innombrables victimes, morts et blessés, résonne encore. D’autant qu’elle a été renseignée par des photographies et des images de films heureusement présents dans le parcours scénographique. Encore de nos jours, la fatigue, la boue, le sang, la mort, la peur, l’ennui aussi, palpitent ici mètre après mètre.

L’éclat d’obus, a priori, c’est juste pourrait-on dire, une pièce de métal qui jonchait le sol. Les récits de soldats évoquent le bruit de leur miaulement, de leur sifflement, de leur bourdonnement, qu’ils faisaient en traversant les airs à près de huit cents mètres par seconde. Ceux qui étaient touchés l’étaient un peu au hasard et représentaient nous dit-on 80% des blessures de cette guerre. D’ailleurs chaque année, le sol continue de vomir ce « métal d’effroi » ainsi que l’écrivait le soldat Apollinaire dans une lettre à Lou, dont il a été victime à son tour. On apprend dans l’album du musée qu’il fut probablement évacué dans un brancard à compas modèle 1892, lequel permettait grâce à deux traverses d’écartement, de relever la tête du transporté.

En marge des collections permanentes, il y a une salle à ne pas oublier en ce moment-même et jusqu’au début du mois de janvier. Celle dévolue aux gravures de l’artiste Georges Bruyer (1883-1962), tant l’exécution de ses scènes de guerre est saisissante par sa modernité et par la netteté si particulière de son trait. Il n’est rien de dire que les artistes à la guerre allaient, tout comme les impressionnistes en leur temps « sur le motif ». Ils étaient même aux premières loges et, engagé à 31 ans, Bruyer sera lui aussi sérieusement blessé. Ce peintre, graveur et céramiste, était pour le moins à hauteur d’homme, ce qui explique pourquoi ses œuvres réalisées sur place nous interpellent non seulement par leur beauté mais également par la vie qui s’en dégage. Il avait, c’est un euphémisme, le sens du sujet et du cadrage afin de restituer ce qu’il appelait modestement ses « impressions de tranchées ».

Quand il réalise « La lettre »en 1917  (ci-contre), il est réformé et ne peut plus combattre. Mais il est missionné pour illustrer. Il va en résulter 24 gravures évoquant des scènes de cuisine, d’alerte, d’assaut, d’attente, de transport en civière, de relève ou de repos. La détermination tout comme l’angoisse ou la résignation, se lit dans les personnages qu’il dépeint avec une adresse stupéfiante. Auparavant quand il était sur le front, il avait produit nombre de croquis et d’aquarelles durant, on peut le supposer, ses temps de pause. L’exposition compte même un dessin-courrier qu’il a adressé à Criquette, la femme qu’il aimait et dont il embrassait « bien amoureusement les lèvres ». Il y a aussi ce « Travail au clair de lune » où l’on voit les belligérants consolidant leurs tranchées sans se tirer dessus. Bruyer avait ajouté cette mention: « La lune qui rit voit d’un côté les Boches qui travaillent et de l’autre, les Français qui en font autant. Pas un coup de feu. »

C’est impressionnant ce que cet homme un peu oublié par la suite (et encore de nos jours) a pu brosser autant d’images significatives de cet immense conflit. On en trouve pour pas cher (parfois signées) en vente sur des sites Internet. Mais le mieux est encore d’aller le découvrir à Meaux au sortir des collections permanentes. Ses œuvres constituent la conjonction parfaite de l’horreur et du beau. C’est la famille de l’artiste qui a fait ce don exceptionnel au musée tandis que parallèlement l’autre partie de son travail, consacrée à Paris, est allée au musée Carnavalet.

PHB

(1): L’histoire du Musée de la Grande Guerre est partie de la collection de l’historien Jean-Pierre Verney qui avait accumulé, près de 50.000 pièces. Le Pays de Meaux l’a achetée en 2005 et c’est à partir de ce trésor qu’un bâtiment géant est sorti de terre. À partir de la gare de l’Est, un train direct permet de se rendre à Meaux en trente minutes (avec un passe Navigo) où de nombreux bus peuvent emmener les visiteurs vers ce plus grand musée d’Europe (ci-dessous) consacré au sujet. Ouvert tous les jours sauf le mardi de 9h30 à 18h. Tarif: 10 euros

Photos: ©PHB sauf image Georges Bruyer: ©Musée de la Grande Guerre

 

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3 réponses à Echos de la Grande Guerre

  1. Réédité en 2014 chez Gallimard, les carnets de guerre de l’aquarelliste et poète Lucien Jacques intitulés les Carnets de moleskine (initialement parus en 39, et préfacés par Giono) mériteraient d’y figurer.

  2. jmc dit :

    Honte d’avouer que l’on ne connaissait pas ce musée majeur. Merci cher Philippe Bonnet.

  3. Michèle Puyserver dit :

    Musée passionnant , et combien émouvant! La petite galerie consacrée aux femmes pendant la Grande Guerre ne montre malheureusemnt aucune photo de Marie Curie et de sa fille Irène , avec le camion de radiographie qu’elles conduisaient au plus près des champs de bataille. Un oubli à réparer…

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