Catherine Nay, dans tous ses états

Ce deuxième volume des souvenirs de Catherine Nay était attendu. Si le premier opus fut un succès d’édition, le deuxième, qui couvre une période plus actuelle, de Chirac Président à Macron sécessionniste du gouvernement Hollande, devrait l’être tout autant. Il ne faut pas s’arrêter à la couverture où Catherine Nay apparaît songeuse, absente. Car le texte est tout sauf cela. La plume de la journaliste est toujours aussi alerte, rapide, détaillée, fouillée, enjouée, documentée, preuves et citations à l’appui. Et elle balance ! On se demande comment tous les mis-en-cause ne lui cherchent pas des noises et réparations, via avocats et juges. Mais elle connaît le métier. Ses livres précédents, à commencer par «Le Noir et le Rouge, ou l’Histoire d’une ambition», celle de François Mitterrand, de 1984, qui la fit découvrir à beaucoup, ainsi que la personnalité complexe (tordue ?) du bonhomme et, plus récemment, la biographie de Nicolas Sarkozy «Un pouvoir nommé Désir» (2007), ont forgé sa méthode.

Vingt-sept chapitres, plus un qu’on évoquera plus loin, cadencent ce livre épais (426 pages). Par rapport au précédent il ne lui manque que le cahier des photographies, qui montraient la journaliste en face de ses impétrants. En ces temps de campagne électorale, ce livre est à lire (après il sera trop tard), tant les magouilles politiques, les coups bas, les promesses intenables, les échecs annoncés, parfois les surprises (mais pas tant que cela) et surtout les acteurs de ce maelström se retrouvent quasi à l’identique.

Le drame des trente-cinq heures, qu’elle qualifie de comédie, en est un exemple emblématique, qu’elle décortique et raconte par le détail. Elle rectifie un point : que ce n’est pas Dominique Strauss-Kahn, comme beaucoup le disent ou le pensent – dont l’auteur de ces lignes – qui avait eu l’idée mais bien Jospin lui-même. Elle confirme que Martine Aubry était farouchement contre mais que, ayant exigé d’être numéro 2 du gouvernement, elle dut faire la sale besogne, en finissant pas se prendre au jeu, triste jeu.
Si elle aime beaucoup de gens, elle est aussi aimée en retour. Il le faut bien dans ce monde où politique et journalisme sont si intimement complices, où les couples, officiels ou non, à commencer par celui qu’elle forme avec son mari Albin Chalandon, ne se comptent plus. C’est d’un côté un moyen efficace d’avoir des informations « from the horse’s mouth» comme disent nos amis anglais, à la source dirait-on ici, de l’autre d’orienter les plumes pour qu’elles écrivent ce qu’il faut, et surtout n’écrivent pas ce qu’il ne faut pas. Un jeu donnant-donnant qu’il faut bien maîtriser et en respecter les règles, notamment les confidences «off the record» permettant au politique de dire et au journaliste de savoir, mais sans en divulguer la source.

Ici les sources sont données. Peut-être en a-t-elle le droit. La prescription tacite pour ces affaires est peut-être plus courte qu’ailleurs. En observatrice des hommes et femmes qu’elle «convoque», elle donne presque toujours un descriptif de chacun, de son physique, son allure, son comportement, son habillement, ses habitudes bonnes ou mauvaises, ses manies. Cela leur donne de la chair, relie la personnalité et ses actes, permet de mieux comprendre, de mieux sentir, voir ressentir. Elle n’élude pas les affaires de cœur, ni les appétits sexuels de certains (beaucoup ?), mais sans s’étaler de trop sur le sujet. Ni trop les condamner.

Ainsi de Lionel Jospin, qu’elle n’aime décidément pas : «Les badauds regardaient ce grand type athlétique, le nez chaussé de lunettes qui lui mangeaient les joues, la nuque raide, l’air toujours préoccupé voire contrarié, reconnaissable de loin grâce à sa tignasse grisonnante, bouclée, ébouriffée, genre afro-cubaine, une abondance capillaire qui risquait d’éloigner de lui bien des électeurs jaloux : les chauves ! Il faisait les courses.»

Hillary Clinton visitant, en mai 1998, le village de Sarran, à l’invitation de sa maire adjointe, Bernadette Chirac : «C’était Hollywood au pays du Bonheur est dans le pré : brushing parfait, sourire de star ultrabright, des gestes de vainqueur aux Oscars. La First Lady portait un tailleur couleur bouton d’or, assorti aux fleurs des prairies.»

L’habillement de ces dames, en citant les couturiers, voire la boutique où l’achat fut fait, est souvent détaillé, en relation avec l’humeur de la personne ou l’événement du jour.
Comme elle l’avait fait dans le premier volume, elle aborde des côtés plus personnels, sa vie, sa famille, son métier, son amour, ses morts aussi. Il en va ainsi de la déchéance d’Europe 1, qu’elle aimait tant. Elle en explique les mécanismes et en désigne les responsables. C’était en 1995. Déjà. Elle évoque, sans fausse pudeur, dans un récit très émouvant, le décès de son père, de son frère, de sa mère. Dans le tout dernier chapitre, le décès de «l’amour de sa vie». Il a alors tout juste 100 ans. Son mari, Albin Chalandon, qui a eu une carrière remarquable, lui a laissé une pile d’écrits, de témoignages, de réflexions, qu’il ne voulait pas publier, lui disant d’en faire ce qu’elle veut après sa mort. Sans doute la retrouverons-nous dans quelque temps, dans une biographie à lui consacrée.

 

Yves Brocard

« Tu le sais bien, le temps passe, souvenirs, souvenirs 2 », Catherine Nay, Bouquins Éditions, novembre 2021, 23 euros

 

 

 

 

 

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7 réponses à Catherine Nay, dans tous ses états

  1. Philippe PERSON dit :

    Cette femme est haïssable au plus haut point. 60 ans au service des plus riches à dénigrer la « populace » et à justifier leurs privilèges.
    Evidemment qu’elle est contre les 35 heures et toute conquête sociale. Le peuple, elle l’aime sous la férule de ses amants. Vous avez oublié le plus célèbre (François P).
    Je vous plains d’avoir visiblement aimé son livre !

  2. Si l’ouvrage est à l’aune de cette critique : de la « tignasse » de Lionel Jospin à la couleur des boutons de tailleur des premières dames, cela ne présage rien de bon et ne rehausse pas le peu d’estime que j’ai pour cette femme des plus arrogantes. Je vous laisse volontiers le « plaisir » de la lecture de ces mémoires. Les Soirées de Paris nous avaient habitués à des chroniques plus captivantes…

    • Brocard Yves dit :

      Merci messieurs Pierre Morvilliers et Philippe Person pour vos commentaires. En général (et même toujours), en matière de politique, ne manifestent que ceux qui sont contre. Ceux qui sont « pour » restent chez eux et ne manifestent pas l’aigreur qu’ils n’ont pas. Comme vous faites des présomptions sur le contenu du livre (par ma faute, mea culpa), je vous invite à le lire. On le trouve facilement à prix réduit. Et vous pourrez ensuite démonter toutes les fausses informations qui y sont révélées. Chiche !

  3. Daouadi Brigitte dit :

    Merci Monsieur Brocard pour cette chronique sur le livre de Catherine Ney. J’ai souvent entendu cette femme débattre sur Europe Un ou d’autres médias et l’ai toujours trouvé pertinente et intéressante. C’est une femme de caractère. Elle a certainement des points de vue tranchés mais qui n’en n’a pas ? Je pense qu’elle a dû rencontrer beaucoup de personnalités et entendre ce qu’on n’entend pas forcément dans les médias. Son livre pourrait bien m’intéresser…

    • Philippe PERSON dit :

      Une femme de caractère ? Hélas, ce n’est pas Angela Davis ni Gisèle Halimi.
      Elle a toujours été du côté des puissants, jamais un mot de « sympathie » pour les petites gens en soixante ans de journalisme au service du fric. Je n’aurais pas aimé être sa femme de ménage qui, elle, devait avoir un sacré caractère pour supporter cette grande bourgeoise du XIXe siècle…

      • Barbey dit :

        Ce que j’aime dans les soirées de Paris, c’est l’esprit français. Le ton léger, badin pour parler des choses graves ou sérieuses.
        Avec des commentaires comme celui de ce M. Person, on est plombé soudain par les gros sabots, l’idéologie gauchiste « les puissants, les petites gens, Gisèle Halimi… » et la démagogie… Pouah… lisez plutôt Médiapart ou Libé si ce genre de commentaires vous déplaît et n’en dégoutez pas les autres qui s’en régalent.

        • Lise Bloch-Morhange dit :

          Quelle intolérance de votre part, vous qui vous targuez « d’esprit français »! Pourquoi Philippe Person ne donnerait-il pas son point de vue et pourquoi les lecteurs des Soirées de Paris qui le souhaient ne liraient-ils pas Libé ou Médiapart? Prière de ne pas dicter aux gens ce dont ils doivent se régaler.

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