Christophe Alévêque, libre et droit dans ses bottes !

Notre époque lui semblait déjà d’une monumentale aberration et les deux années qui viennent de s’écouler n’ont fait qu’en rajouter une couche.  Mais comment a-t-on pu en arriver à un tel degré d’absurdité et de soumission? Se demande l’humoriste Christophe Alévèque. Que se passe-t-il ? Cette crise sanitaire aurait-elle fini de nous retourner le cerveau ? Réveillons-nous ! En fin observateur de notre temps, le chroniqueur à l’humour ravageur nous livre aujourd’hui un spectacle hilarant sur un monde dans lequel il se sent totalement déphasé, et nous avec. Au qualificatif de “Super Rebelle” (2009), le quinquagénaire a aujourd’hui substitué celui de “Vieux con”.  Ce qui, au fond, revient au même puisque, comme il s’en explique “Aujourd’hui, le con, c’est un résistant. L’empire de la bien-pensance a fait basculer le résistant ordinaire, le libre penseur, dans le camp des vieux cons.” Plus rien à voir donc avec le conservateur réactionnaire d’usage. Et à l’heure de ce grand n’importe quoi, quel plaisir de rejoindre le club des vieux cons que nous propose Alévêque. Le rire que provoque ce spectacle n’en est que plus salvateur !

Dès son entrée en scène, l’homme nous explique avoir deux problèmes, un gros et un petit. Le premier, c’est celui qu’il entretient avec notre époque. Le second, c’est son jeune fils de deux ans qui dort dans la loge à côté et à qui il va devoir expliquer ce monde qu’il ne comprend pas. Il faut dire que les deux années que nous venons de vivre n’ont rien fait pour arranger les choses. Elles sont même très révélatrices de l’état de notre société, une société ravagée par l’ordre moral et la pensée lisse. Et ces deux années furent justement la fameuse goutte d’eau qui permirent la genèse du spectacle. “La colère est montée, confiait Alévèque dans un entretien à Pierre Notte. Ce qui m’a le plus marqué, c’est qu’on s’est arrêté de penser. Tout d’un coup, on a eu le cerveau dans le formol. Aucune remise en question, aucune réflexion. On est confinés. Bien mon colonel ! Et basta.”

Et voici l’humoriste qui revient sur ces deux années écoulées… L’entendre nous rappeler tout ce que nous avons accepté sans broncher, notre docilité face à la démocratie mise en berne, ces incessantes interdictions endurées sans la moindre résistance, nous permet, avec le recul, de saisir toute l’absurdité de la situation et d’en rire. Cette distance bienvenue nous autorise enfin le rire. Un rire libérateur. Car, infantilisés, nous avons été malléables à merci. Nous avons accepté sans ciller d’être confinés, puis partiellement déconfinés, et de nouveau reconfinés. Avec une docilité toute fataliste, nous avons rempli des autorisations de sortie pour aller acheter une simple baguette de pain, nous nous sommes montrés “dynamiques” sur les plages ou encore nous nous sommes résignés à être privés de culture.

Mais si notre soumission a été totale, c’est que nous avions déjà été mis au pas par une société bien-pensante. Une société où il faut entrer dans les cases du prêt-à-penser pour éviter le tribunal populaire. Dans ce monde où l’on marche sur la tête, la mise en quarantaine de notre démocratie n’avait plus rien pour nous étonner. Et l’artiste, pourfendeur de la bêtise humaine, n’en finit pas de relever toutes les absurdités de notre époque, du progrès au corporatisme en passant par la cancel culture. La liste est longue et la critique, formulée avec infiniment d’esprit, d’une drôlerie cathartique. La société, “c’est les uns contre les autres tout le temps, nous dit-il. Prenez la pandémie, par exemple. Depuis le début, c’est les uns contre les autres : les rassuristes contre les alarmistes, les vieux contre les jeunes, le petit commerce contre la grande surface, la campagne contre la ville, Amazon contre tout le monde, les vaccinés contre les non-vaccinés, les pass sanitaires contre les anti-pass… Et depuis le début de la pandémie, on entend exactement tout le temps le même refrain “C’est ensemble que nous viendrons à bout de ce virus. ”” Bienvenus en absurdie !

Seul face à la salle, dans une mise en scène minimaliste, au rythme bien réglé, et avec pour tout décor une table haute et une chaise, Christophe Alévêque nous livre un grand numéro de mauvaise humeur enjouée. Son ton toujours très juste et sa palette de jeu font merveille. Excellent comédien, sa nature comique et son esprit acéré font mouche. Les rires fusent en cascade à chacune de ses saillies. Le récit d’un dîner clandestin dans un resto où il se retrouve à fumer comme dans les années 80, l’achat compulsif de paquets de pâtes ou encore quelques pas bien chorégraphiés pointant l’aberration de certaines mesures gouvernementales s’avèrent des moments de franche rigolade.

Mais si le ton est juste, le mot l’est également. Alévèque possède indéniablement le sens de la formule et un humour qui n’empêche pas la tendresse. Il n’est jamais méchant. Tout simplement rationnel. Ainsi les jeunes ont toute sa sympathie : “Quand même 20 ans à notre époque, la vache, le cadeau. Ils sont nés avec un préservatif sur le gland. Ensuite, on leur a greffé un téléphone à la main. Après on leur a collé un masque sur la tronche et bientôt, avec le niveau de la mer qui monte, ils auront un tuba dans le bec.” Sous l’ironie perce l’empathie.

Écouter Alévêque décrypter ainsi notre époque paradoxale est une véritable catharsis. Nous ressortons de ce spectacle heureux et libérés. Le “Vieux con” n’est pas seul !

 

Isabelle Fauvel

“Vieux con”, de et avec Christophe Alévêque, mise en scène de Philippe Sohier. Jusqu’au 3 avril à Paris au Théâtre du Rond-Point
Puis, en tournée : https://www.aleveque.fr/vieux-con/
À noter le spectacle spécial élection présidentielle les dimanches 10 et 24 avril à 18h30
Le texte “Éloge du vieux con moderne” est publié aux éditions du Cerf.
Et pour adhérer au Club des vieux cons, il suffit d’adresser vos coordonnées à clubdesvieuxcons@gmail.com
Prémices au “Vieux con”, les trois volets du spectacle “Le trou noir ”, joués et filmés devant une salle vide, sont visibles sur You Tube :
Épisode 1 (19 mai 2020)
Épisode 2 (17 décembre 2020)
Épilogue (30 avril 2021)

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