Champollion, génie du rébus

Entre 1828 et 1829 Jean-François Champollion est enfin en Égypte, déjà bien avancé en science des hiéroglyphes pour se confronter à la réalité. Il n’est pas tout seul. À la tête d’une équipe franco-toscane il est accompagné de dessinateurs dont Nestor L’Hôte, afin de faire des relevés. Ce que l’on peut voir sur le détail ci-contre,  a été retranscrit par les deux hommes à partir du tombeau de Ramsès VI, mort en 1137 avant Jésus-Christ. Exactement, il s’agit sur toute une longueur d’un panneau, du « registre médian de la paroi Sud ». Cette merveille est actuellement exposée à la BnF à l’occasion du bicentenaire du déchiffrement des hiéroglyphes. Comme l’expliquait hier aux Soirées de Paris, l’égyptologue Guillemette Andreu-Lanoë, la méthode de Champollion a été d’apprendre auparavant de nombreux langages allant du gaulois au chinois en passant par l’étrusque et le mexicain. Et surtout le copte, avec lequel le savant identifie de nombreuses passerelles. La scénographie très généreuse a bénéficié des trésors de la BnF parmi lesquels 88 volumes de notes et de dessins issus de la main de Champollion (1790-1832).

Et c’est donc en 1822, à l’âge de 32 ans, que Champollion adresse à « Monsieur Dacier », secrétaire perpétuel de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, une missive dans laquelle il lui annonce avoir percé le secret des hiéroglyphes, sous le parrainage de son frère Jacques-Joseph, savant comme lui. Cela faisait 1500 ans que la signification avait été perdue. On apprend sur le parcours scénographique que cette langue aurait été une dernière fois utilisée  en août 394 sur la porte d’Hadrien, dans le temple de Philae. Il nous est également expliqué que les hiéroglyphes étaient une sorte de langage suprême réservé aux textes des monuments. Et qu’il en existait un second, simplifié et cursif, dit hiératique, que l’on retrouve sur les papyrus.

Jean-François Champollion nous apparaît comme un génie au plein sens du mot, se distinguant de nombreux savants par son discernement exceptionnel, son incroyable capacité à intégrer de nombreuses langues, par son inspiration, son intuition phénoménale, sa sensibilité et son goût pour l’art. C’est en 1809, alors qu’il n’a que 19 ans, qu’il réalise que le copte est une évolution tardive de l’égyptien ancien. Il a si bien appris cette langue qu’il écrit à son frère: « Je parle copte tout seul. » Il comprend aussi que les hiéroglyphes, une fois rendus intelligibles, livreront toute une civilisation. Il en admire les traces architecturales, ce qui lui fera dire: « Aucun peuple ancien ni moderne n’a conçu l’art de l’architecture sur une échelle aussi sublime, aussi large, aussi grandiose. » Ce n’est rien de conclure que l’expédition est un succès tant il était préparé à éprouver ses connaissances sur le terrain. Dans une lettre à son frère datée du 12 janvier 1829, il lui écrit: « Je suis fier maintenant, que, ayant suivi le cours du Nil, depuis son embouchure jusqu’à la seconde cataracte, j’ai le droit de vous annoncer qu’il n’y a rien à modifier dans notre lettre sur l’alphabet des hiéroglyphes (rédigée 11 jours plus tôt ndlr).« 

Adolescent précoce, Champollion avait en outre appris l’art du dessin et des couleurs en peinture. Ce qui lui a permis de retranscrire des langages hermétiques avant-même d’en connaître le sens. À 21 ans il a déjà exécuté une copie d’un papyrus (avec l’aide d’un certain Léon-Jean Joseph Dubois) comprenant écriture hiératique et vignettes. Ces fabuleuses archives ne sont pas un mince tribut à cette exposition. Néanmoins, la copie à la plume a quelque chose de laborieux, de lent, cependant que l’époque change en apportant de nouvelles techniques aux égyptologues. C’est ainsi, et c’est un autre aspect de la richesse du parcours, que les premiers appareils photographiques, ceux de Daguerre, si peu maniables soient-ils, feront gagner beaucoup de temps aux chercheurs suivants, au détriment de la joliesse et du charme insigne des dessins colorés.

Ce Champollion qui profitait de l’ombre des hypogées pour se restaurer sans plus de façons, tout en admirant les bords du Nil, est à l’origine d’un héritage considérable dont il existe bien peu d’épigones toutes sciences confondues. À sa mort en 1832 il laisse une division égyptienne au Louvre, après avoir été admis à l’Académie et obtenu une chaire d’enseignement au Collège de France. C’est son frère qui après avoir lancé son cadet sur la piste du déchiffrement de l’égyptien ancien, prendra par la suite soin de sa postérité. C’est grâce à lui enfin que seront publiés une « Grammaire égyptienne » et un dictionnaire de la même encre.

Avant ce voyage en Égypte, Jean-François Champollion avait écrit à son frère depuis Turin: « J’ai vu rouler dans ma main des noms d’années dont l’histoire avait totalement perdu le souvenir, des noms de dieux qui n’ont plus d’autels depuis 15 siècles. » Dans quelle aventure, le jeune homme ne s’était-il pas embarqué… Il avait pu à juste titre parier sur le fait qu’il viendrait à bout de la serrure rouillée protégeant l’accès à tout un univers. Et cette exposition superbe nous laisse imaginer l’extase qu’il a pu éprouver en dessinant enfin l’épure précise de la bonne clé.

PHB

« L’aventure Champollion, dans le secret des hiéroglyphes » jusqu’au 24 juillet 2022 à la BnF Mitterrand

Photos: ©PHB
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Une réponse à Champollion, génie du rébus

  1. Jacques Ibanès dit :

    Et dans le prolongement de cette exposition, je conseille à ceux qui auront l’occasion de passer dans le Lot, une visite du Musée Champollion- Les Écritures du monde à Figeac, sa ville natale.

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