Creuser les sujets

Raphaël Durazzo a 37 ans. Il commence sa vie professionnelle dans la finance à Genève, Londres, et Paris. Mais il réalise vite que cet univers n’est pas le sien et il ressent rapidement l’envie de vivre cette passion pour l’art qui l’anime depuis toujours. Quand un des patrons de la Banque Morgan Stanley lui dit qu’il devrait monter sa galerie d’art, il y voit un signe du destin et il y croit suffisamment pour se lancer dans l’aventure. Une aventure faite d’abord de beaucoup de rencontres, de beaucoup de travail de recherches et d’apprentissages jusqu’au jour où cet autodidacte s’improvise marchand d’art à domicile, chez lui : il y développe les bases du métier : achat, vente, conseil. Parallèlement il s’essaie au métier de commissaire d’expositions à Koweït, à Genève et à Paris. C’est sans aucune doute ce qui fait l’originalité de sa démarche dans la galerie qu’il vient d’ouvrir rue du Cirque, une adresse devenue mythique suite aux révélations sur les amours rocambolesques d’un ancien président de la République avec une certaine actrice de cinéma.
Il s’installe donc dans les murs de l’ancienne galerie du Cirque, ancienne propriété de Pierre Cardin au cœur du quartier Matignon devenu récemment une sorte de «carré d’or» des galeries parisiennes à deux pas du «Bristol» et de «La Réserve». La galerie est pour lui le lieu qui va accueillir ses expositions et il ambitionne à son échelle des présentations d’œuvres sur des thématiques destinées à initier des réflexions essentielles, à l’instar des grands musées, une démarche pour le moins singulière. «J’ai envie, souligne-t-il, de proposer des expositions que l’on a rarement l’habitude de voir. Je me fais un devoir de creuser les sujets. Je ne veux pas seulement vendre des œuvres, mais aussi raconter une histoire».

Et c’est bien de cela qu’il s’agit pour sa première présentation intitulée «Germany» (chaque lettre du mot étant barrée), construite autour d’un concept qui réunit des plasticiens allemands de l’après-guerre à propos du travail qu’ils ont fait sur eux-mêmes. Ou encore comment ils ont reconstruit leur identité sur la défaite. Mais comme ce n’est jamais possible d’effacer ce qu’on était, ils construisent leur identité sur la précédente à la manière d’un palimpseste. Au lieu d’effacer le mot, ils le barrent, tout en le laissant lisible. Pour l’occasion il réunit des artistes majeurs tels Joseph Beuys, A. R. Penck, Sigmar Polke, Anselm Kiefer et son avion «The Argonauts» (ci-dessous), Gerhard Richter, et des grandes figures du néo impressionnisme Jorg Immendorf, Georg Baselitz et ses sujets déstructurés, retournés et Markus Lupertz. Il a eu à cœur de présenter Christa Dighans une artiste méconnue qui a été l’assistante de Baselitz, laquelle dénonce les excès de la société de consommation avec des accumulations d’objets et de vêtements.

Le Franco-Turc Raphaël Durazzo n’oublie pas ses origines et ses grands parents stambouliotes et c’est sans doute d’eux qu’il tient son sens de l’accueil et son goût pour les relations humaines. «J’aime, professe-t-il, les rencontres les échanges, les contacts. Je souhaite que cette galerie soit un endroit où l’on ait envie de passer du temps dans un rapport de proximité et d’intimité avec les œuvres présentées».

C’est aussi une caractéristique de sa galerie: il a eu la volonté d’en faire un lieu intime propice aux conversations où il veut recevoir les collectionneurs et clients comme dans un appartement, autour d’un verre ou d’un café. En dehors de l’espace central il y a le bureau où sont aussi accrochés quelques tableaux et un petit salon-bibliothèque où collectionneurs et amateurs peuvent s’installer confortablement pour consulter un ouvrage.

Alors n’hésitez pas si vous passez par la rue du Cirque et que vous souhaitez comprendre comment voit-on, au travers d’artistes aussi différents, cette réécriture de leur identité après la rature. Il vous suffit de pousser les portes de la galerie et d’engager la conversation pour apprécier les commentaires du maître des lieux qui est aussi un excellent conteur.

Marie-Pierre Sensey

Galerie Raphaël Durazzo 23 rue du cirque 75008 Paris

Crédit photos: ©Galerie Raphaël Gurazzo

PS: Pour l’anecdote, Raphaël Durazzo s’est marié à la mairie du 7eme arrondissement de Paris où il a pu voir l’acte de mariage de… Guillaume Apollinaire avec Amélia Kolb en mai 1918

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3 réponses à Creuser les sujets

  1. Philippe PERSON dit :

    Heureusement qu’il y a l’anecdote sur Apollinaire, sinon ce galeriste m’en rappelle bien d’autres qui vendent tous inlassablement les mêmes choses que lui… et qui, dans une vie précédente, on tous été traders, énarques, fils de famille, éleveurs de chevaux ou, plus rarement, amateurs d’art…

  2. Je n’en pense pas moins !

  3. alain BOUTRY dit :

    ça commence ainsi et ça finit dans le « Pinault »…encore que ,soyons juste,sa restauration de la Bourse de commerce par Tadao Ando soit louable ..mais je préfère m’abstenir de commentaires sur ce qu’il y expose!

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