Romy, pleins feux sur l’actrice

Sur l’affiche, les quatre lettres de son prénom surgissent en caractères gigantesques tandis que son nom de famille apparaît dans le bas, comme un simple rappel. 40 ans après sa disparition, elle revient sur les écrans et les cimaises de la Cinémathèque, plus resplendissante que jamais. Romy. Celle dont la notoriété est telle que son prénom suffit à la désigner. Celle qui, d’origine allemande, fut l’incarnation de la femme française par excellence et dont la si précoce et prolifique carrière la fit aimer de plusieurs générations de spectateurs. Romy, inscrite pour toujours dans notre paysage cinématographique. Hélène, Lily, Rosalie…, mais aussi Sissi et Christine à ses débuts. Son regard bleu-gris, son sourire, son rire, sa démarche et son indicible et merveilleux accent nous restent à jamais familiers. Aujourd’hui encore, elle nous semble si proche, si présente, éternel objet de notre affection et de notre admiration, bien loin d’une légende inaccessible. Et quel bonheur pour nombre d’entre nous de la contempler enfin sur grand écran ! Sa grâce, sa beauté et son talent n’en sont que plus éclatants ! Mettant sa vie et ses drames personnels de côté, l’exposition s’attache à retracer l’incroyable carrière de Romy Schneider (1938-1982), ses choix ambitieux de comédienne et son professionnalisme à toute épreuve. La rétrospective qui lui est associée nous rappelle l’actrice d’exception qu’elle fut.

Fille, petite-fille et arrière-petite-fille de comédiens, Romy Schneider, née Rosemarie Magdalena Albach, est une “enfant de la balle”, comme on dit. Ses arrière-grands-parents paternels, Rudolf et Käthe Retty étaient des artistes reconnus, metteur en scène et acteur pour l’un, chanteuse pour l’autre. Mais c’est surtout leur fille, Rosa Albach-Retty (1874-1980), qui fut une comédienne de renom, au point d’être nommée HofSchauspielerin (comédienne de la cour) par l’empereur François-Joseph. Une photographie à l’entrée de l’exposition nous la montre sur scène en 1908. Souriante, le visage renversé en arrière, elle n’est pas sans nous rappeler avec émotion sa non moins célèbre petite-fille. Le fils de Rosa, Wolf Albach-Retty (1906-1967), fut également acteur. Et c’est sur un plateau de cinéma qu’il rencontra sa future épouse, la jeune Magda Schneider (1909-1996). Le couple tournera plusieurs films ensemble et aura deux enfants: Romy en 1938 et Wolfgang Dieter en 1940. C’est à travers un album de famille des plus exceptionnels, composé de photographies officielles, cartes postales, couvertures de magazine et photos de vacances que nous découvrons cette lignée de comédiens. À la toute fin de l’exposition, un cliché nous montrant Romy peu de temps avant sa disparition avec sa fille alors enfant, nous rappelle incidemment que la lignée perdure encore aujourd’hui à travers Sarah Biasini. La chaîne n’est pas rompue…

Si le parcours chronologique proposé par la commissaire Clémentine Deroudille nous permet de réaliser le nombre impressionnant de rôles interprétés par la comédienne disparue prématurément -une soixantaine en près de trente ans de carrière !-, il nous invite également à mesurer l’ampleur du chemin parcouru et les choix souvent audacieux qui lui permirent de s’affranchir d’un destin cinématographique tout tracé pour devenir une actrice accomplie.

Car c’est à l’âge de 15 ans seulement que Romy fait ses débuts de comédienne aux côtés de sa mère dans “Lilas blancs” (1953) de Hans Deppe. Magda Schneider, après huit années d’absence, y effectuait son grand retour au cinéma et tentait de faire oublier son passé d’artiste officielle du Troisième Reich. Apprenant que le réalisateur cherchait une jeune actrice pour interpréter sa fille, c’est tout naturellement qu’elle avait proposé la sienne. Romy, merveilleuse de fraîcheur et de spontanéité, se fait aussitôt remarquer. Elle attire l’attention d’autres réalisateurs et enchaîne alors les films (dans lesquels mère et fille se donnent le plus souvent la réplique) : “Feu d’artifice” (1953), “Les jeunes années d’une reine” (1954), “Mam’zelle Cri-cri” (1955), “Mon premier amour” (1955), “Sissi” (1955), “Sissi impératrice” (1956), “Kitty” (1956), “Un petit coin de paradis” (1956), “Monpti” (1957), “Sissi face à son destin” (1957).

Avec Sissi, Romy accède aussitôt à la notoriété. Le succès est fulgurant. Cette célèbre trilogie d’Ernst Marischka consacrée à l’impératrice Élisabeth d’Autriche fait de la jeune débutante une star du jour au lendemain. En France, elle attire plus de 18 millions de spectateurs et continuera à faire rêver des générations de petites filles lors des sempiternelles retransmissions télévisées de fin d’année. Mais s’il lui a conféré une reconnaissance internationale, ce rôle de Sissi pourrait très bien l’enfermer artistiquement, l’y cantonner à jamais. C’est donc très courageusement que, malgré un cachet que l’on devine mirobolant, elle refuse à seulement 19 ans, de tourner un quatrième opus et prend le risque d’interpréter un personnage tout autre, aux antipodes de l’impératrice en crinoline : une jeune fille tourmentée par l’amour qu’elle porte à l’une de ses professeures dans “Jeunes filles en uniforme” (1958). Premier choix audacieux qui dénote déjà une ambition artistique et une certaine exigence.

Mais le véritable tournant se produira peu de temps après. Pour le film “Christine” (1958), une coproduction franco-allemande réalisée par Pierre Gaspard-Huit, Romy doit choisir sur photo le jeune acteur français qui lui donnera la réplique. Son choix se porte sur un jeune inconnu du nom d’Alain Delon. On connaît la suite… Sa relation avec Alain Delon va amener Romy à une autre rencontre tout aussi décisive, qui lui permettra d’entamer sa métamorphose d’actrice : Luchino Visconti (1906-1976).  Avec le réalisateur et metteur en scène italien, la jeune femme fait non seulement ses débuts sur les planches, en français, dans “Dommage qu’elle soit une putain” de John Ford, un des maîtres du théâtre élisabéthain, mais se dénude et joue de sa sensualité dans le film à sketches “Boccace 70” (1961).  L’actrice fait sa mue. La rupture avec Sissi et l’Allemagne a définitivement eu lieu. “Je me sens française dans mon style de vie et ma vie elle-même, dira-t-elle. Je le dois à trois personnes : Alain Delon, Luchino Visconti et Coco Chanel”.  Dix ans plus tard, le maître lui donnera l’occasion d’exorciser à jamais le personnage de Sissi en lui offrant de l’interpréter à nouveau sous un jour totalement différent. Dans “Ludwig ou le Crépuscule des dieux” (1972, ci-dessus), Romy sera donc, aux côtés du beau Helmut Berger, une impératrice hiératique et solitaire, énigmatique et mélancolique. En tenue de cavalière, le visage recouvert d’une voilette, un sourire en demi-teinte, elle y est d’une beauté époustouflante.

À travers nombre de photographies et extraits de films, nous voyons l’actrice évoluer, se dépasser dans des rôles toujours plus ambitieux. Ne jamais tomber dans la facilité ou la répétition semble être son credo. Rechercher l’excellence et aller toujours plus loin.
Elle tourne avec les plus grands réalisateurs : Orson Welles (“Le Procès”, 1962, ci-dessus), Otto Preminger (“Le Cardinal”, 1963), Henri-Georges Clouzot (“L’Enfer”, 1964, resté inachevé), Joseph Losey (“L’assassinat de Trotsky”, 1972), Dino Risi (“Fantôme d’amour”, 1981) …, et accorde sa confiance à des débutants qu’elle estime prometteurs, tels Alain Cavalier (“Le combat dans l’île”, 1961), Francis Girod (“Le trio infernal”, 1973) ou encore Andrzej Żuławski (“L’important c’est d’aimer”, 1974). Dans les années 60, elle s’envole même pour Hollywood où elle déploie ses talents dans un registre tout nouveau pour elle : la comédie (“Prête-moi ton mari !” de David Swift, avec Jack Lemmon et “Quoi de neuf, Pussycat ?” aux côtés de Peter O’Toole et de Woody Allen). Elle y est excellente, d’une drôlerie merveilleuse.

Mais c’est sans doute sa rencontre avec Claude Sautet (1924-2000), d’ailleurs au cœur de l’exposition, qui s’avère déterminante. Avec lui, elle peut explorer les mille facettes de son jeu et façonner son image de femme moderne, libre, belle et sexy. “En réalité, j’étais simplement en avance sur mon temps. À une époque où il n’était nulle part question de libération de la femme, j’ai entrepris ma propre libération. J’ai forgé moi-même mon destin, et je ne le regrette pas”, dira-t-elle. Sautet la révèle à elle-même, lui offrant ses plus belles partitions : “Les choses de la vie” (1969, ci-dessous), “Max et les ferrailleurs” (1970), “César et Rosalie” (1972) …

Au fil de ces rôles, l’actrice allemande devient l’incarnation de la femme française, au corps libéré et à la souveraine liberté. Hélène, Lily, Rosalie… des personnages qui ont marqué à jamais l’histoire du cinéma et n’ont pas pris une ride tant Romy y est resplendissante et son jeu, merveilleux de naturel. Son visage sur grand écran est saisissant de beauté ! Une scène de travail nous la montre répétant une partie de cartes de “Max et les ferrailleurs”. Elle y est bluffante de vérité, donnant l’illusion d’avoir passé sa vie dans un tripot. Son rôle dans “Une histoire simple” (1978), écrit tout spécialement pour elle et que Sautet lui offrit pour ses 40 ans, lui valut, par ailleurs, son deuxième César. (1) Elle y interprète Marie, une femme totalement libre, libre de quitter l’homme qu’elle n’aime plus, libre d’avorter ou d’avoir un enfant seule.

L’émotion nous saisit en redécouvrant cette actrice si attachante à travers les nombreux extraits de films, photographies, affiches ou costumes -ah, la célèbre robe du mariage portée par Rosalie !- que présente l’exposition. Et la rétrospective qui lui est associée permet de découvrir des films rarement montrés ou de revoir sur grand écran ceux tant aimés. Romy Schneider n’a décidément pas fini de nous faire rêver…

Isabelle Fauvel

 

(1) Elle fut la première actrice à recevoir un César (en 1976 pour son rôle dans “L’important, c’est d’aimer” de Zulawski.)

“Romy Schneider. Exposition et rétrospective.” jusqu’au 31 juillet 2022 à la Cinémathèque française 51 rue de Bercy 75012 Paris

Crédits photos:
(1) Affiche de l’exposition Conception graphique : La Cinémathèque française / Mélanie Roero /Photo : Sam Lévin © Ministère de la Culture – Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, Dist. RMN
(2) « Ludwig », Luchino Visconti, 1973 © Studiocanal – Mega Film Spa – Dieter Geissler Filmproduktion
(3) « Le Procès », Orson Welles, 1962 © Cantharus Productions N.V
(4) « Les Choses de la vie », Claude Sautet, 1969 © Studiocanal – Fida Cinematografica
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