Les termes adéquats

C’est une toute petite plaque fixée à côté du porche d’un immeuble, au 60 boulevard du Montparnasse. Elle rappelle que là, entre le 12 mars et le 7 avril 1929, a séjourné au sein de ce qui était alors Le Grand Hôtel de Versailles, l’écrivain, peintre et poète, David Herbert Lawrence (1885-1930). Il était venu en quête d’un éditeur pour son roman, « L’amant de Lady Chatterley ». Apposée en mai 2019, elle prend en ce moment-même tout son sens puisque la chaîne Arte, diffuse non seulement jusqu’au 28 août le film du roman signé par Pascale Ferran, mais aussi un documentaire qui relate principalement le procès en obscénité fait en 1960 à l’éditeur. Sorti en 2006, le film quant à lui, démontre avec subtilité que ce qui avait été longtemps confondu avec de la pornographie était en réalité une histoire d’amour, une vraie, celle qui fusionne par ordre d’apparition le désir et les sentiments. La fin en est particulièrement appréciable dans la mesure où Constance (parfaite Marina Hands), femme de tête qui n’a pas peur de mettre en cohérence ses rêves et ses actes, comprend qu’il existe une troisième voie pour les amours impossibles. Une voie qu’elle ouvre comme une délivrance pour elle et lui.

Par égard pour ceux qui ne connaissent pas cette romance célèbre, il faut rappeler que Lady Chatterley est l’épouse d’un homme que la maladie a rendu impuissant. Et que c’est grâce au garde-chasse de sa propriété, que cette aristocrate va découvrir l’amour physique, avant de réaliser qu’il se combine progressivement avec des sentiments irrésistibles. David Herbert Lawrence croyait à son roman pour lequel et ce fut un sacré problème, il avait employé les termes adéquats lors des étreintes des deux amants.

Le documentaire de Mathilde Damoisel, sorti en 2019, ouvre sur la mise aux enchères du livre dont s’était servi le juge lors du procès en Angleterre, le 20 octobre 1960, trente ans après la mort de Lawrence. Adjugé 45.000 livres, ce livre de poche avait de la valeur car il avait été, « lourdement » nous dit-on, annoté par la femme du magistrat. Le juge avait compté jusqu’à trente fois l’usage du mot « fuck » ou « fucking » et dénoncé aussi l’usage d’expressions moins crues comme « love making », jalonnant selon lui treize scènes de sexe explicites. Trente témoins viendront en défense et pas forcément des libertins, plutôt des citoyens ordinaires. Passionnant documentaire en réalité où interviennent des personnalités comme Sylvain Tesson ou encore Catherine Millet. Il décrit la vie d’un homme  qui contribua de façon posthume à la libération des femmes, au terme d’un procès qui vit heureusement l’acquittement des éditeurs de Penguin Books. La force littéraire de ce roman, qui initialement devait être titré « Tenderness », a malheureusement  été éclipsée par sa réputation bêtement scandaleuse. En France, il a longtemps été acheté et échangé par des adolescentes curieuses des passages les plus instructifs, surtout au début et au mitan des années soixante où il faut bien dire que l’éducation sexuelle n’existait pratiquement pas. 200.000 exemplaires trouveront preneurs juste après le procès. Et ce « manifeste de l’amour libre », comme il sera classifié plus tard, dont la première publication date de 1928 sur des presses florentines, a par ailleurs été âprement critiqué en 1970 par les féministes et notamment par Kate Millet (1934-), une américaine ayant publié « Sexual Politics » (La Politique du mâle). Dans cette thèse qui fit date, elle évoquait Lawrence en tant que misogyne  et pourfendait son phallocentrisme.

Difficile de dire avec certitude en 2022 ce qu’il est advenu de cette libération. Certes l’on peu voir sur les murs du métro des affiches qui vantent des « jouets » pour adultes, certes encore peut-on lire dans telle rubrique « sexo » d’un média grand public, dans quelle mesure une femme peut s’adonner au plaisir lorsqu’elle est enceinte, mais il n’est pas évident que la liberté amoureuse soit incluse dans le package. Et qu’en fin de compte, il soit davantage question d’hygiène de vie subornée par des coachs invisibles qui veulent avant tout nous faire consommer davantage. Nous connaissons actuellement moult carcans du bien-penser et interdits nouveaux dont il sera nécessaire un jour de s’émanciper (encore).

Elle est lointaine finalement, cette vision de l’amour moderne conçue par Lawrence, celle qu’il avait lui même mise en pratique. Le documentaire nous relate en effet cette phase de sa vie où, atteint de tuberculose, ses relations charnelles avec sa compagne Frieda étaient devenues impossibles. Il a alors défendu le droit de Frieda à aller « s’assouvir physiquement » ailleurs, ce qui pour cette époque reculée, était incontestablement le fait d’un homme évolué. Son livre apparaît dès lors comme salutairement intemporel. Et le film de Pascale Ferran ne l’a pas trahi, loin s’en faut.

PHB

Voir le film (jusqu’au 26 août)
Voir le documentaire (jusqu’au 28 novembre)

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3 réponses à Les termes adéquats

  1. Philippe PERSON dit :

    D.H. Lawrence ce n’est pas que Lady Chatterley… Je trouve que Le Serpent à plumes lui est supérieur… Je me souviens d’une interview de Godard disant que « Le Serpent à plumes » était un de ses livres favoris…

  2. Sans parler de son roman « Women in love » (Femmes amoureuses) de 1920, qui a inspiré le très beau film de Ken Russell en 1969…

  3. anne chantal dit :

    Si vous me permettez cette réflexion : Quand les « bourgeoises « , du XXème siècle encore prude, rechignaient à subir les ardeurs de leur partenaire /mari officiel,- parce que ça fait mal ? – ou par peur d’un enfant non souhaité, et ça fait mal aussi d’accoucher !! -, ces dames n’interdisaient pas à leurs maris de fréquenter les « maisons closes » !, afin d’assouvir leurs besoins sexuels . Ce qui est consenti dans un certain ordre d’idées peut l’être dans l’ordre opposé ..

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