En notre âme et conscience

Il n’est pas tout à fait clair que notre cerveau soit le siège unique de notre conscience et voilà qui constitue un bon départ pour un essai sur le sujet. Il se pourrait qu’elle dispose en effet de succursales neuronales dans différentes parties de notre corps, comme par exemple l’appareil intestinal. Lorsque l’on reçoit incidemment un signal de satiété, il vient d’en-bas et c’est le haut qui réceptionne. Auteur dramatique, essayiste, chercheur, Bertrand Marie Flourez vient de produire un courageux essai à ce propos, profitant sans doute de l’inconscience d’un non moins téméraire éditeur, tant les sujets qu’il aborde, un peu difficiles, nécessitent un minimum de foi dans l’édition. Mais c’est le côté supérieur de la foi et donc de l’âme, par rapport à la conscience des risques. Le gros avantage de cet opus de près de deux cents pages est qu’il est lisible, fluide, éclairé, au point que l’on se surprend à le lire d’un trait (ou presque), aiguillé il est vrai par la curiosité que suscite l’exploration d’un terrain a priori ardu.

La conscience, nous explique-t-il en substance, est un mot en forme de gros wagon employé à tout bout de champ, de même que son antonyme, l’inconscience. L’auteur a donc tenté de ratisser les différents emplois du terme via des expressions comme « avoir bonne conscience » ou « la conscience tranquille » et jusqu’à « l’objection de conscience » qui appartiennent toutes au domaine de la morale, au contraire de la « perte de conscience » laquelle peut-être le résultat d’un choc ou d’une anesthésie. Ajoutons que L’australopithèque ne devait pas en être doté, au sens aigu du monde actuel, mais quand il faisait du feu, il devait bien avoir la conscience innée que la flamme lui réchauffait le moral ou les pieds pendant que le gibier cuisait sur la braise. C’est l’un des atouts induits de ce livre, que de susciter chez le lecteur, moult réflexions autour de la prise en considération du monde extérieur par rapport à ce que nous sommes, là où nous sommes.

Bertrand Marie Flourez élargit donc son champ de recherche au monde moderne et particulièrement à l’externalisation de nos fonctions cognitives relayées par l’univers numérisé. Il cite notamment une étude qui met en avant l’altération du discernement par l’usage effréné du smartphone, tablette et autres engins de ce genre. De la conscience endommagée par le contrôle prémédité des consommateurs, il en résulte un glossaire nouveau, fascinant à découvrir. Ainsi « l’assombrissement » qui décrit le suivi compulsif d’une personne sur les réseaux et, bien mieux que ça, « l’athazagoraphobie » névrose désignant « la peur d’être oublié sur les réseaux », provoquant une inflation maladive de « likes » et de « shares ». Effrayant est par ailleurs le terme clinique « nomophobe », lequel dénonce la peur de « ne pas avoir son téléphone à portée de la main ou d’être à court de batterie ». Le livre met ce faisant des mots sur ce que nous observons ou pratiquons, comme le « pnubbing », soit l’attitude consistant à rester sur son écran « en ignorant volontairement les autres ». Et enfin l’acronyme « FOMO » (fear of missing out), relatif au risque de manquer une information par négligence.

C’est là, selon lui, que la conscience de se faire avoir intervient dans le monde d’aujourd’hui, surtout en regard de la « fabrique du consentement » et de la « propagande de masse », analysées dans un paragraphe. Comment, en d’autres termes, des organisations font en sorte de réduire l’utilité de la conscience avec du prêt à mâcher idéologique ou consumériste. Pour Bertrand Marie Flourez, c’est aussi là que la « conscience critique » semble d’un niveau supérieur puisqu’elle permet la « relecture d’une réalité dominants/dominés afin de la contester et de se détacher ou se libérer ». En écrivant ce livre, l’auteur illustre d’une façon pertinente la distance qu’il convient de prendre au sortir de chez soi face aux stimuli variés qui nous assaillent, afin de sauvegarder notre lucidité.

Pour finir, il cite fort justement Jean d’Ormesson qui disait: « Ne vous laissez pas abuser. Souvenez-vous de vous méfier. Et même de l’évidence (car) elle passe son temps à changer. » Celui qui est par ailleurs lecteur régulier des Soirées de Paris termine fort aimablement par un poème bien connu d’Apollinaire sur les étoiles en se permettant d’ajouter une ligne à sa guise en suggérant: « Il est grand temps de rallumer les étoiles, il est grand temps de relier les consciences. » Au moins publie-t-il le texte du poète en entier lequel vaut bien davantage que ce rallumage d’étoiles (1) dont tout le monde s’est notamment emparé pour illustrer la pénibilité de la pandémie. À force sa beauté intrinsèque a fini par s’abîmer.

PHB

« Notre conscience nous appartient », Bertrand Marie Flourez, VA Éditions 18 euros

(1) Récemment repris par la Fondation Abbé Pierre

 

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