Entre Manuel de Falla et Federico Garcia Lorca, une profonde amitié

Encore enivré des effluves de jasmin qui accompagnent sa visite de l’Alhambra, le touriste de Grenade a rarement l’idée de se rendre dans une petite ruelle proche pour y découvrir le «Carmen de la Antequeruela». Les «carmenes», désignent à Grenade des habitations particulières typiques, possédant un patio et un petit jardin, conçues pour favoriser une relative fraîcheur. Celle-ci fut pendant près de quarante ans la résidence du plus célèbre des compositeurs espagnols, Manuel de Falla. Né à Cadix en 1876, il s’y était installé en 1920. Il connaissait déjà la célébrité grâce à ses musiques de ballet comme «L’Amour Sorcier» ou «Le Tricorne», créé par Diaghilev. Après ses années parisiennes où il s’était notamment lié avec Debussy et Paul Dukas, il souhaitait vivre dans un lieu propice à la contemplation. Idéalement située dans l’enchanteresse ville andalouse, cette maison comblait ses attentes. Il y vécut de 1920 à 1939, en compagnie de sa sœur Maria, avant de s’exiler à la fin de la guerre civile, en Argentine, toujours avec sa sœur. C’est dans ce pays qu’il décéda en 1946.
La visite de cette «casa museo» témoigne d’une vie ascétique, quasiment religieuse, à l’exact opposé du style fougueux et exubérant des pages qui lui ont assuré la popularité comme la célébrissime «Danse rituelle du Feu»(1). Aucune des parties communes ne laisse deviner un quelconque goût pour le luxe et sa chambre à coucher est proche d’une cellule monacale. Même si l’on connaît l’extrême religiosité de Manuel de Falla, cette austérité peut surprendre, car le musicien espagnol est considéré comme le plus représentatif d’un pays dont l’esthétique est plus proche de la luxuriance et de l’excès que de la sobriété (ce qu’en France nous avons plaisir à appeler «bon goût» est bien souvent, au delà des Pyrénées, synonyme de fadeur). La vie quotidienne de Manuel de Falla à Grenade était de toute évidence un modèle d’ascétisme.

C’est dans ce lieu un peu secret (ci-contre) que Manuel de Falla réunissait autour de lui les grands artistes ou intellectuels de son époque. Parmi ceux-ci, le nom de Federico Garcia Lorca est incontestablement le plus prestigieux. Entre les deux hommes, malgré une différence d’âge de plus de vingt ans (Federico était né en 1898) une profonde amitié s’était nouée. Le jeune Lorca admirait de Falla; quant au musicien, il avait rapidement décelé le génie du poète, d’autant que ce dernier manifestait aussi des talents hors du commun pour la musique et pour le dessin. Ils partageaient tous deux une véritable passion pour l’art populaire andalou, et c’est grâce à eux que le 13 et 14 juin 1922, la ville de Grenade avait organisé le Concurso de Cante Jondo (2), qui allait définitivement donner ses lettres de noblesse à l’art flamenco.

L’amour pour Grenade les unissait également. Si Manuel de Falla était né à Cadix, Federico était lui, un authentique «Granaïno». Né à Fuente Vaqueros, à une vingtaine de kilomètres, il passait tous ses étés dans la maison de ses parents à Grenade même, la «Huerta de San Vicente» («le verger saint Vincent»).

La visite de la maison natale (ci-contre) à Fuente Vaqueros, gros village traversé par le rio Genil, s’impose à tout admirateur du poète. Dans la rue qui porte aujourd’hui son nom, la maison des Lorca est la plus cossue (le père, propriétaire terrien, avait fait fortune dans la betterave sucrière). Federico, ainé d’une famille de cinq enfants, fut choyé par la nourrice de la maison et par sa mère. Maîtresse d’école, celle ci fut son premier professeur, tandis qu’une de ses tantes lui enseigna le piano et la guitare. Ce n’est pas sans émotion que dans le salon de la maison, l’on découvre le piano noir (voir plus bas) qui révéla au petit Lorca le pouvoir des sons.

Malgré sa situation familiale privilégiée, le poète se sentit très vite proche du peuple et des gens de la terre. Toute son œuvre en témoigne. Son théâtre mit au grand jour les drames familiaux (Yerma, La Casa de Bernarda Alba). À la tête de la compagnie itinérante La Barraca, il fit découvrir Cervantes ou Lope de Vega aux villageois de provinces reculées. Mais, quelle que furent ses activités, Lorca montra toujours un attachement sans faille à son Andalousie natale. La folie des hommes allait briser brutalement la voix du poète. Un destin tragique a voulu qu’au début de la Guerre civile, Lorca, qui se savait menacé, décide de trouver refuge chez l’un de ses amis poètes de Grenade, Luis Rosales. C’est là qu’à l’aube du 18 août 1936, il fut arrêté par les milices franquistes pour être fusillé à la lumière des phares d’une voiture, sur la route du village de Viznar, en même temps qu’un maître d’école et deux modestes banderilleros. Il avait 38 ans. Les raisons de son assassinat n’ont jamais été clairement établies. Son corps n’a jamais été retrouvé.

«Le crime a eu lieu à Grenade. Dans sa Grenade !» (Antonio Machado, 1937).

Gérard Goutierre

(1) Extrait du film de Carlos Saura
(2) Voir les Soirées de Paris du 15 février 2022

Photos: ©Gérard Goutierre
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4 réponses à Entre Manuel de Falla et Federico Garcia Lorca, une profonde amitié

  1. Jacques Ibanès dit :

    Merci pour l’évocation de cette amitié et l’invitation à aller voir sur place !
    Sur Lorca et la musique, je signale une oeuvre lyrique du compositeur argentin Golijov « Ainadamar » (DGG), extraordinaire évocation du « crime de Grenade ».

  2. Gerard H. Goutierre dit :

    Merci à Jacques Ibanès pour cette information sur l’œuvre de Golijov qui ne semble pas avoir été jusqu’à présent programmé sur une scène française. Ce qu’on peut en voir sur le Net donne envie, et semble tout à fait dans l’esprit du poète.

  3. Dupuis dit :

    Ce Goutierre est un globe-trotteur …Il nous conduit ,toujours avec talent et précision de Bruxelles à Grenade cela nous protège de la perfide ankylosé ….dupuis

  4. Marie-Hélène Fauveau dit :

    ah merci ; bien noté sur mes tablettes pour un prochain voyage en Andalousie…
    mh fauveau

    ah merci

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