Le fol demande beaucoup mais fol est qui le lui donne

Un notaire d’aujourd’hui en perdrait presque son latin. Quand peu avant sa mort en 1631, le sieur Jean Lacurne, avocat au Parlement de Dijon, précisait entre autres dispositions testamentaires, qu’il donnait à son neveu le maire d’Arlay, son « pot de noix confites » et « son écorce de citron ». De même que, et c’est le plus important, son recueil de proverbes « qui n’est point achevé ». Il se trouve que le recueil en question vient d’être publié aux éditions Honoré Champion,  sous la houlette du philologue et traducteur, Michael Kramer. Il s’agit-là ni plus ni moins d’une sorte d’exploit éditorial que cette « Anthologie et conférence des proverbes français, italiens et espagnols », contenant quelque huit cents occurrences. Double exploit posthume puisque d’une part, c’est la première fois que cette recension savante est publiée dans son intégralité et parce que d’autre part, Michael Kramer en a identifié l’auteur. Jusqu’à présent, le volume n’était qu’une référence de bibliothèque, après maints legs et péripéties.

« Le fol demande beaucoup mais fol est qui le lui donne », ce qui voulait dire aussi dans l’orthographe de l’époque « À beau demandeur, beau reffuseur ». Jean Lacurne avait trouvé également son équivalent espagnol, soit « mucho pide et loco, ma loco es el que loda ». Quel travail gratuit ce magistrat « catholique ardent », érudit, collectionneur, fondateur d’un collège à Arnay-le-Duc (Bourgogne), n’avait-il pas réalisé là! Et quel hommage mérité Michael Kramer ne lui a-t-il pas rendu, en inscrivant enfin un nom sur ce labeur de passionné.

Cette recherche si pointue qu’elle en décourage objectivement toute espèce de succès grand public à venir, n’est pas sans rappeler le personnage de Camille dans le film de Alain Resnais, « On connaît la chanson » (1997). Interprétée par Agnès Jaoui, Camille tentait vainement d’intéresser ses interlocuteurs à son sujet de thèse, les « Chevaliers paysans de l’an mil au lac de Paladru ». Pourtant il en faut des Camille, des Lacurne et des Kramer pour s’en aller fouiller des sujets qui se désespèrent de voir un jour débouler des princes ou des princesses charmantes, afin de les réveiller d’un long sommeil.

Ce fut un jour de 2015, qu’une « sérendipité », a illuminé le travail du chercheur, alors qu’il préparait « un article sur la place occupée par Sénèque » dans la fameuse anthologie. C’est alors qu’il est tombé sur une note dévoilant le nom de ce Lacurne, lequel versait peut-être sans le savoir, dans la parémiologie, soit la science des proverbes. La lacune, si l’on peut dire en jouant sur le mot, allait désormais être comblée. Il n’y avait plus qu’à dérouler le fil des traces privées et administratives. Dans une note de bas de page, Michael Kramer précise honnêtement qu’un certain Antoine Haaker était arrivé un autre jour à la même conclusion que lui, publiée dans deux articles. Mais l’ouvrage de plus de cinq cents pages édité chez Honoré Champion en format A4, fait toute la différence, en juxtaposant une appréciable approche biographique avec le travail de Lacurne proprement dit.

La date de naissance du magistrat dijonnais n’est pas sûre, mais par déduction, à partir de son testament, on apprend tout de même qu’il avait tout juste passé la soixantaine, un âge respectable pour l’époque. L’on découvre par ailleurs qu’il était marié et qu’il s’agissait d’une union où l’affection n’était pas absente et même mentionnée grâce aux testaments respectifs du mari et de l’épouse, Huguette Devoyo. On ne sait pas si elle est morte de la peste qui sévissait alors. Dont pour se prémunir, il suffisait selon un précepte alors en vigueur, de se frotter les narines avec du beurre frais. Ils sont morts, elle et lui, à quelques mois d’intervalle.

La saveur de cette anthologie, on l’aura compris, n’est pas tant dans la somme de proverbes, locutions et brocards anciens, mais beaucoup dans le récit du travail effectué par Michael Kramer, de sa progression, de ses découvertes, de son dépoussiérage hardi autant qu’ardu. Néanmoins, ce serait dommage de s’y limiter, tant l’espace dévolu aux maximes et autres apophtegmes suscite souvent le sourire parfois l’émotion. Chaque sondage y fait bonne pêche, pourrait-on dire ton sur ton.

Comme au hasard l’idée qu’il faut « faire un pet honteux en sa vie », ce qui signifiait selon Lacurne et en substance, que la folie et la faute sont naturelles à l’homme. Certains sont cependant toujours en cours comme « le bon sang ne peut mentir » mais, la plupart sont bien démonétisés. Ce qui ne veut pas dire qu’ils perdent pour autant ni leur sel ni leur sens, tel « le bon visage de l’hoste est la moitié de la bonne chère ». Les proverbes en général, se reconnaissent en ce qu’ils ont réponse à tout et, il était incidemment courant de dire qu’un méchant trouverait toujours sa méchante et que le plus chétif des pots finirait bien par dénicher son couvercle. C’est même devenu l’algorithme de base des sites de rencontre.

Pour son dernier mémoire, Lacurne avait fait appel à un scribe. Et parmi ses ultimes volontés, il avait fait savoir que pour son enterrement il ne voulait « nulles torches », ni « écussons », mais seulement « quatre flambeaux d’une livre (…) qui seront portés au coin du drap par Claude Maistre, Mongot, Ursin » et son « métayer de Jonchery » ou, en l’absence de ce dernier, par « le pauvre qui couche en (son) étable ». Avant de rendre l’âme, Lacurne était exhaustif autant que méticuleux puisqu’il avait aussi décidé de léguer ses « souliers et pantoufles » à un certain Monsieur Bonnard. Le genre de détail qui peut suffire à mettre en joie.

 

PHB

 

Anthologie et conférence des proverbes français, italiens et espagnols (manuscrits FR1599 et Fr6170 de la BnF. Édition annotée, étude biographique et philologique de Michael Kramer) Honoré Champion 150 euros

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Une réponse à Le fol demande beaucoup mais fol est qui le lui donne

  1. Boccaccio dit :

    Belle découverte, merci

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