Rebelles

Plutôt spécialisé dans la photographie de nus, Bruno Braquehais décide, au moment des événements de la Commune entre le mois de mars et le mois de mai 1871, de changer de pignon pour le reportage. Il a alors près de cinquante ans. Sourd et muet de naissance il n’a donc pas pu entendre le choc de la colonne Vendôme s’écraser sur le sol pas plus que les cris et commentaires suscités par la mise à bas du « Jean-Foutre » (Napoléon). Il y a un peu plus de cinquante ans, la photographie instantanée n’existait pas et, ce qui nous est donné à voir en ce moment même au Musée d’Art et d’Histoire de Saint-Denis,  montre la statue avant et après, notamment avec un groupe de fédérés. Parmi ces derniers figurait le peintre Courbet ce qui lui valut de gros ennuis plus tard une fois l’ordre rétabli. Quand le pouvoir en place ne tient pas compte de la pression qui monte, du manomètre social qui s’affole, cela finit par péter et c’est l’un des intérêts instructifs de cette exposition qui se terminera au mois de mars.

La scénographie nécessite d’avancer à pas lents. Sur les murs en effets, ce sont beaucoup de documents écrits et d’avis imprimés tandis que les images, comme les photographies de Braquehais, sont au format d’origine et donc pas particulièrement spectaculaires. Hormis des pièces comme le drapeau rouge du 143e bataillon de la 10e légion de la Garde nationale et quelques œuvres peintes, l’ensemble nécessite un effort oculaire.

La Commune fut un puissant mouvement insurrectionnel, essentiellement parisien et qui dura peu de temps mais dont l’écho, servant d’exemple à d’autres, se fit connaître bien au-delà des frontières. Cette révolte contre un pouvoir qui dans le meilleur des cas, ignorait le peuple, eut lieu alors que la France était vaincue par la Prusse (Saint-Denis était d’ailleurs en zone occupée) et moins de trente ans après la brève révolution de 1848. Les événements de la Commune firent de très nombreuses victimes du côté insurgés (la semaine dite « sanglante » du mois de mai)  mais le pouvoir déplacé à Versailles eut aussi son compte. Il y avait déjà eu des tentatives de soulèvement (en octobre 1870, en janvier 1871) mais celle de mars fut, si l’on peut dire eu égard aux atrocités et déportations, la bonne. Les rues de Paris rappellent en maints endroits cette histoire pas si ancienne où les gens du sol réclamaient davantage de démocratie, de liberté et de meilleurs conditions d’existence si l’on résume un peu vite.

Lorsque l’on pense à ce qui se passe actuellement dans le monde, en Chine ou en Iran par exemple, on s’aperçoit que le choix des documents exposés dans l’ancien carmel de Saint-Denis, ouvre grand les portes de la réflexion. On pense notamment aux femmes de la commune qui ont su saisir l’occasion pour faire valoir leurs points de vue, la plus célèbre d’entre elles étant l’institutrice et militante Louise Michel (1830-1905). Elle ne fut que déportée (en Nouvelle-Calédonie), mais d’autres le payèrent de leur vie comme le montre une couverture d’un hebdomadaire britannique montrant l’exécution d’une « pétroleuse ». Aucune femme n’avait semble-t-il mit le feu à quoique ce fut, mais le terme est resté.

Peu visuelle, cette exposition encouragera les visiteurs à se procurer l’album vendu, c’est à souligner, à un prix abordable. Son seul mais énorme défaut est d’avoir sacrifié au politiquement correct via une utilisation effrénée de l’écriture inclusive avec du « celles et ceux » à tous les carrefours. On veut veut bien passer sur le titre de l’exposition, soit « Insurgé-es! », mais fallait-il vraiment écrire à propos de la population de Saint-Denis, « ses habitants et ses natif-ves », fusion pour le moins indigeste de « natifs » et « natives »? La frontière du langage sectaire est ainsi franchie.

En tout cas il nous est donné à connaître, en plus de l’abattage symbolique de la colonne Vendôme, (ci-contre détail par Paul Robert) quelques histoires intéressantes comme celle du photographe Appert qui truquait (avec son frère, ndla) ses tirages afin de monter en épingle les « crimes de la Commune » au profit de la cause versaillaise. Ou le parcours singulier de Élisabeth Dmitrieff qui débarqua à Paris au printemps, en provenance de Londres et sur les conseils de Marx, afin d’expédier des renseignements de première main au grand homme. Elle n’avait que vingt ans et faisait tourner les têtes et les cœurs quand elle se juchait sur les barricades. Elle voulait réformer le travail des femmes, l’amour et la guerre, en suggérant la création d’une armée féminine. Sa trace s’est perdue depuis lors quelque part en Sibérie. Mais quand on regarde les femmes qui aujourd’hui choisissent de combattre ou de défier, au risque de leur vie, un pouvoir religieux à la dureté sénile comme Iran, on peut se dire que son message, lui, n’est pas complètement perdu.

PHB

« Insurgé-es!, regard sur celles et ceux de la commune de Paris de 1871 », musée d’Art et d’Histoire Paul Éluard, Saint-Denis. Jusqu’au 6 mars 2023

Photo 2: ©PHB
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2 réponses à Rebelles

  1. Hupé Annie dit :

    Je me suis abonnée récemment à votre lettre, et chaque parution m’apporte une raison de plus de m’en réjouir.
    Merci.
    AH

  2. jmc dit :

    Tiens, une héroïne inconnue (de mes services), Élisabeth Dmitrieff. Merci Philippe !

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