Un bout de conduite

Le parcours offre d’emblée une image de rêve aux petits garçons et surtout, sans doute, aux anciens petits garçons. Dans la mesure où il y a quelques décennies, la frontière était bien établie entre les poupées et les petites voitures. Jouer avec ces dernières était réservé aux garçons sauf à consumer le trouble plaisir de la transgression. La notion de plaisir est d’ailleurs tout juste mentionnée sur cette exposition temporaire organisée par le Musée des Arts et Métiers. Les moralistes du 21e siècle vouent en effet la bagnole aux gémonies et ils ne la tolèrent que dans la mesure où on peut les convaincre d’un emploi utile, si possible partagé. Les sorties à la campagne, au bord de la mer, à la montagne, seront peut-être un jour des actions clandestines même si les véhicules ne pollueront plus. L’évasion ne sera autorisée qu’en autocar avec un guide vocal chargé de faire la leçon aux passagers décarbonés de l’intérieur, sur les dangers de l’individualisme.

Le Musée des Arts et Métiers conserve en outre dans ses collections permanentes quelques spécimens des temps héroïques qui n’annonçaient pas encore l’expansion processionnaire des véhicules à quatre roues. C’est venu progressivement avec le regard des artistes doués d’une capacité d’anticipation. On pense à André Devambez (1) et ses taxis volants et à tous ces auteurs de science fiction qui font partie de cette scénographie singulière. En 2023, leur regard n’a plus beaucoup d’avance. Les voitures autonomes sont prêtes et seules des questions juridiques empêchent leur déploiement. Quant aux taxis volants ils existent aussi et il a été dit que l’on pourrait en voir dans le ciel parisien au moment des jeux olympiques, en 2024.

Au moins dans cette partie du musée réservée aux expositions temporaires il est « permis de conduire » puisque tel est le titre de l’affaire en cours, jusqu’au 7 mai. Les organisateurs ont cru bon ou prudent d’y rajouter un point d’interrogation. Conduire c’est un peu comme la chasse, ce n’est pas vraiment conforme aux tendances. Nous sommes ici dans une maison d’ingénieurs et c’est plutôt le côté technique qui a été privilégié. Il nous est notamment donné à voir la voiture œuf, avec moteur électrique, conçue en 1942 par un certain Paul Arzens. Elle n’est pas sans rappeler l’excellent film « L’île de la rose » (L’incredibile storia dell’Isola delle Rose) sorti en 2020 et basé sur l’histoire vraie d’un jeune ingénieur ayant créé en 1968 une île-État au large de l’Italie. Inventeur compulsif on le voit au début du film dans une auto en forme d’œuf qu’il a entièrement conçue et fabriquée. Ce scénario (Sydney Sibilia, Francesca Manieri) terriblement sympathique, fonctionne notamment en raison du contraste opéré par la coexistence du héros anticonformiste et une Italie ultra-conservatrice. Il y est question de liberté, cette notion de plus en escamotée des discours politiques et des routes.

C’est dire si cette exposition n’est pas anodine tellement elle peut réveiller en nous des idées de bougeotte. On songe par exemple aux photographies de Jacques Henri-Lartigue où l’on voit des voitures aux longueurs extravagantes, dans un entre-deux guerres où il est vrai que la question de la saturation automobile ne se posait pas encore. On peut se souvenir également des départs en vacances dans la DS Citroën de nos parents (ci-dessous) dans laquelle l’exploit était de ne pas vomir avant d’arriver au pied des montagnes ou des plages. Charger les bagages dans le coffre était en général réservé aux pères de famille et, passé ce petit instant de tension, nous étions bien sur la route des vacances, le cœur gonflé d’espérances encore floues.

On nous dit que l’avenir est à l’électricité ou à l’hydrogène, sous-entendant que la faculté d’aller et venir ne sera à ce prix, point remise en question. Au détour de la scénographie on tombera à ce propos devant le modèle de la « Jamais contente », mis au point au 19 siècle et testé à Achères (ville bien connue des Yvelines au moins pour certains de nos lecteurs). Munie d’une centaine de batteries, en forme de missile sol-sol, elle avait réussie à atteindre cent kilomètres heures ce qui pour l’époque revenait à frôler le mur du son. En 2021, le constructeur Ford annonçait qu’il avait élaboré un diffuseur de parfum d’essence pour les conducteurs de voiture électrique comme l’iconique Ford Mustang du film « Bullit » (1968) qui fonctionne désormais à piles. C’est là, pour les nostalgiques du sans-plomb, toute la problématique du succédané.

On pourra également faire une pause devant un pupitre interactif destiné à concevoir la voiture de nos rêves en fonction des données que l’on aura bien voulu livrer. Il en ressort sur papier adhésif des modèles totalement farfelus mais c’est bien cela qui est drôle quand pleurer sur la dureté des temps et la multiplication des vexations rend au quotidien la tenue de deuil pratiquement obligatoire.

PHB

« Permis de conduire » jusqu’au 7 mai 2023, Musée des Arts et Métiers

Photos: ©PHB
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3 réponses à Un bout de conduite

  1. Michel Laubu dit :

    Oh, mais on dirait bien que cet article a une drôle d’odeur de renfermé…
    « oh ces sales bobo gaucho écolo qui nous empêche de penser en rond… quoi de meilleur qu’une odeur de gasoil d’un 4×4 conduit par des chasseurs qui tourne en rond»… pour peu qu’ils ne sachent pas ce qu’ils chassent… Ces raccourcis vous emmènent sur de dangereux chemins d’idées courtes. Mais c’est vrai, il n’y a aucun problème d’écologie.
    Et comme la terre est plate vous ne craignez rien à tourner sur vous-même.

  2. Philippe PERSON dit :

    Je ne serai pas aussi dur que Michel parce que je connais depuis des années la prose de Philippe et qu’il m’a donné des centaines d’exemple de beaux articles où il ne bougonnait point… J’allais dire (mea culpa) à mon image…
    Quand on a nos âges, la voiture reste un marqueur social. Je suppose que Philippe a connu l’ère de la « bagnole » enfant. Moi, j’étais un petit « prolo » et mes parents, par tous les vents et toutes les neiges (eh oui, il neigeait à cette époque l’hiver où la pollution auto n’avait pas encore sa forme diesel), me véhiculaient sur leurs vélos. A l’arrière pour ma mère, sur une petite selle sur le cadre pour mon père…
    Ils n’eurent une voiture qu’en 1969. J’avais dix ans. Je n’ai pas été marqué par ce passage… La preuve : je n’ai pas appris à conduire et évidemment je suis devenu un affreux méchant qui souhaite qu’on arrête cet ère automobile désastreuse.
    Je suis un peu le Annie Ernaux du vélo…
    Mais j’ai eu des Dinky Toys, des Solido et des Majorettes… et des petits coureurs…

  3. Gilles Bridier dit :

    Voiture œuf? On pense aussi à la petite Isetta de BMW, probablement dans les années 50 du siècle passé, bien qu’on la comparât plutôt à l’époque à un pot de yaourt que l’on ouvrait par le devant. Un concept qui mériterait d’être réactualisé !

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