Molenbeek, l’autre Bruxelles

Alors que la Grand-Place de Bruxelles s’assoupit dans la lumière de ses ors, le quartier de Molenbeek et ceux adjacents se réveillent, dopés par d’impressionnants projets de réhabilitation de friches industrielles. La transformation du colossal garage Citroën des années 1930 (ci-contre) en centre artistique Kanal-Pompidou et le projet Tour & Taxi de restauration de l’ancienne gare maritime devraient être à même de redorer le blason de Molenbeek, entaché par les attentats terroristes de 2015. Situé au nord-ouest de Bruxelles, à 15 minutes du centre-ville, Molenbeek a actuellement une population multiculturelle de 100.000 habitants qui est l’une des plus pauvres de Belgique. On l’a oublié, mais en 1860 la Belgique est la 2e puissance mondiale. Et, grâce à la révolution industrielle, Molenbeek connaît au XIXe s. une prospérité et une croissance inédites marquant ses rues de beaux bâtiments industriels et de logements sociaux modernes dont on trouve toujours la trace. L’ouverture du canal Bruxelles-Charleroi (1832) qui facilite le transport du charbon vers Molenbeek, entraîne le développement de fonderies, entreprises métallurgiques et d’ingénierie.

Les ouvriers, qu’il faut loger, affluent de toute l’Europe pour travailler dans ses industries. Molenbeek devient le «Petit Manchester» et, jusqu’au début du XXe, est en plein essor. Le déclin industriel viendra après la seconde guerre. Une grande partie de la population ouvrière d’origine quittera Molenbeek, remplacée par de nouvelles populations immigrées à la recherche de loyers peu chers.

Autres temps, autres opportunités pour les quartiers déshérités. Un immense chantier est en cours pour transformer l’ancien garage Citroën de 5 étages en un phare culturel baptisé «Kanal-Pompidou». Sur un terrain de 16.000 m2, situé place de l’Yser, Citroën a bâti en 1934 un complexe d’entretien et de vente d’automobiles dont la taille hors-normes impressionne. Son showroom à l’américaine à la façade-rideau arrondie est caractéristique de l’époque. Véritable temple de 21 mètres de hauteur, il devait symboliser l’audace et les capacités d’innovation de Citroën. Innovation et audace aujourd’hui encore pour la Fondation KANAL, créée par la Région de Bruxelles-Capitale, qui doit mener à bien sa reconversion en un pôle culturel majeur de la capitale européenne. Le site accueillera un musée d’art moderne et contemporain, en partenariat avec le Centre Pompidou, un musée d’architecture, en partenariat avec la Fondation CIVA (dédiée à l’architecture et à l’écosystème urbain), ainsi que nombreux espaces publics dédiés aux arts de la scène, projections, débats et détente.

À quelques encablures du garage Citroën, le projet de transformation de l’ancienne gare maritime (ci-contre) est presque achevé. Rappelons que dès le XVIe siècle, Bruxelles entame la construction d’un canal pour permettre l’accès direct à la mer. Au fil du temps, il subit diverses transformations pour autoriser de plus grands tonnages et un port maritime interne est bâti dans la capitale. A la fin du XIXe s. face au développement fulgurant de son industrie et de ses chemins de fer, Bruxelles décide de créer un nouveau port maritime interne, l’ancien étant trop engorgé. Le site de 37 hectares nommé «Tour & Taxi», à cheval sur Laeken et Molenbeek, est choisi en 1897 pour suppléer le port. Une immense gare de marchandises et plate-forme de distribution multimodale à la pointe de l’ingénierie y sont édifiées. Leur architecture art-nouveau et néo-renaissance est de toute beauté. Les divers bâtiments (gare, entrepôt royal, magasins en shed…) permettent d’associer des fonctions indissociables : perception des douanes, entreposage des marchandises, transport rapide par train, voie d’eau et route. Ce site, devenu inutile avec la levée progressive des barrières douanières européennes et la préférence du transport routier a été abandonné en 1980. Ses installations remarquables n’ont pas été détruites et des projets de réhabilitation voient le jour dès les années 2000.

Après la rénovation de l’exceptionnel Entrepôt royal et celle des Sheds, immense voile plissée en dents de scie de 17.000 m2 sans colonne porteuse, c’est la Gare maritime, dont l’armature de fer et de verre a été conservée, qui renaît aujourd’hui. À l’intérieur de magnifiques escaliers, coursives et structures contemporains en bois réchauffent l’immense halle lumineuse de 40.000 m2, chauffée et climatisée sans énergie fossile (ci-dessous-. La réhabilitation du site Tour & Taxi a donné une nouvelle vie au quartier. Les différents bâtiments accueillent aujourd’hui des agences de design, boutiques tendance, restaurants, espaces de coworking, salles de spectacle et d’expositions, conventions et foires, événements culturels et sportifs … À terme, c’est tout un écoquartier qui va se développer autour de l’ancienne gare maritime incluant jardins, logements, commerces, bureaux, services et équipements publics… À quand la gentrification de Molenbeek ?

 

Lottie Brickert

 

Dessin d’ouverture et photos: ©Lottie Brickert

 

 

 

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4 réponses à Molenbeek, l’autre Bruxelles

  1. Robert GRAETZ dit :

    Je retrouve avec plaisir mes « Soirées de Paris » du matin.
    Merci pour cette approche enthousiaste d’une commune trop facilement dénigrée pour ce qui fait précisément sa « belle diversité ».
    J’ai une furieuse envie de quitter de temps en temps Ostbelgien pour retourner à Bruxelles avec l’esprit ouvert et curieux d’un touriste.

  2. Raymond dit :

    Beau reportage sur l’histoire industrielle et l’évolution du site.
    Musée d’art moderne, design, boutiques tendance, coworking : la gentrification est déjà en cours, au grand bonheur des financiers opportunistes.
    On est loin du temps où Bruxelles bruxellait…

  3. Khristine dit :

    Les petits ruisseaux font de grandes rivières et Molenbeek a fait couler beaucoup d’encre. Mais tourne moulin, merci Lottie, face à la tragédie de 2015 de nous permettre de lever l’ancre.
    Mise à part un peu de tourisme à Bruges, Gnnd et Bruxelles, je ne connais pas la Belgique . Tu as piqué ma curiosité et j’ai appris que Molen signifiait moulin et Beek : ruisseau .
    Alors encore un grand merci Lottie pour ton éclairage à plusieurs dimensions .
    Et bien le bonjour !!!

  4. John Hardgrove dit :

    Hello Lottie, So glad to find the « English » button on the upper right hand side. Pushing it transformed your text to English immediately. Reading the changes of Molenbeek
    over the years reminds me of all the work San Francisco went through in the remodeling of the old Ferry Building at the foot of Market Street. Inside, they have created spaces for restaurants, gift shops, tea houses, cheese shops, and a book store. On Tuesdays, they set up a Farmers Market, out front of the building, and on Saturday and Sunday, a much larger Farmers Market out on the back side of the building.

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