Ballonnements planétaires

Si l’on pousse le bouchon un peu loin, le ballon-espion détruit par les États Unis ne venait point de Chine mais de France et plus exactement de Paris dans le 11e arrondissement. Là où fut expérimentée pour la première fois une élévation de montgolfière le 17 octobre 1783. Le scientifique Jean-François Pilâtre de Rozier (1754-1785) avait pris place dans la nacelle  ainsi que le rappelle une plaque commémorative au 31 bis rue de Montreuil (dessin ci-contre). Adresse qui jouxte un peu plus loin le jardin de la Folie Titon, là où les montgolfières furent assemblées dans la manufacture royale de papier.

Ce 17 octobre Pilâtre prit littéralement de la hauteur, jusqu’à cent mètres, ce qui devait pouvoir se mesurer avec les cordes d’amarrage. Comme la liberté coûte cher, c’est parfois à cela qu’on la reconnaît, cet aérostier des premiers temps passa du ballon captif au vol libre et c’est ainsi qu’il se tua à 31 ans, en voulant gagner l’Angleterre en dirigeable depuis le Pas-de-Calais. Avait-il eu l’intention d’espionner nos cousins bretons on ne sait pas, mais le système donna à l’évidence des idées à d’autres.

Il est beaucoup questions de ballons ces dernier temps. Outre ceux que l’armée de l’air américaine descend à prix d’or, il y a les ballons syndicaux qui colorient gaiement les manifestations et sans oublier celui que l’on pousse du pied sur les stades ou ceux que l’on fait rebondir à la main sur le bitume.

Cependant, au bout de quelques sondages effectués à bon escient dans les encyclopédies et livres d’histoire, il apparaît que le concept du ballon, sphéroïde ou ovoïde, est indatable. L’encyclopédie culturelle du Robert dans son édition de 2005 explique que le jeu de la balle se perd dans la nuit dans des temps y compris lorsque sa taille en a fait un ballon rond. Les hommes n’étaient alors pas si vaniteux au point qu’ils se sentissent obligés d’en déposer le brevet. Et il en est probablement de même pour les ballons volants. Il y a  fort à parier que des vessies séchées, gonflées à l’air chaud d’un feu de bois, n’avaient pas attendu les frères Montgolfier pour épater les convives de quelque joyeuse assemblée préhistorique. Mais autant a-t-il a fallu des Christophe Colomb pour officialiser certaines traversées maritimes, l’histoire avait également besoin d’un Montgolfier et même de deux pour affirmer que c’étaient eux les premiers question ballon. Seul Armstrong pouvait se targuer d’avoir été le premier à fouler le sol lunaire.

Durant la première guerre mondiale à cause de leur forme tout en longueur, on appelait côté français les ballons espions allemands, des saucisses. Apollinaire les avait même mentionnées dans « Il y a » en écrivant: « Il y a dans le ciel six saucisses et la nuit venant on dirait des asticots dont naîtraient les étoiles. » En version originale, ces « drachenballons » fusionnaient deux termes significatifs, soit « dragon » et « cerf-volant ». Ils n’étaient censés faire que de l’observation militaire, mais les ingénieurs des deux bords s’espionnaient quand même entre eux pour améliorer leurs propres engins. On ne manque en tout cas pas de mots composés pour éviter le terme « espionnage ». Les autorités chinoises parlaient ces dernières semaines de ballon-météo, ils auraient pu aussi dire ballon-sonde, ballon d’essai voire un tout de même moins crédible ballon d’eau chaude, afin d’éviter le mot qui fâche.

Quand on se pique d’épier le voisin, depuis la salle de classe jusqu’aux instances de l’ONU, il est prudent de bien choisir ses mots et de se confectionner un bon alibi. Cela vaut aussi pour le contre-espionnage, pratique qui ne se conçoit qu’en riposte. Et de riposte en riposte, les responsabilités entraînent forcément une certaine confusion par rapport à la responsabilité initiale. Interviennent alors ce qu’il conviendrait de décrire comme des ballonnements planétaires nuisant à la sérénité des échanges diplomatiques. Ah bien sûr si la Terre était plate les ballons-espions finiraient par tomber d’eux-mêmes, au bout d’un bout, dans le néant et l’oubli. Mais on sait bien qu’ils orbitent en haute altitude et jusqu’à confondre point de départ et point d’arrivée. C’est au moins Platon le bien nommé qui confirma que nous vivions sur une rotonde, après avoir observé l’ombre de notre astre sur la Lune.

En France on en a quand même beaucoup à dire sur la question ballon. Rien de tel qu’un bistrot pour commenter un match de foot, avec un bon verre-ballon empli de n’importe quel vin d’appellation contrôlée qui permettra de célébrer une passe décisive ou au contraire de s’offusquer d’un carton rouge. Loin en tout cas des poulaillers louches où l’on couve des nids d’espions.

PHB

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2 réponses à Ballonnements planétaires

  1. Et puis il y a aussi :  » C’est Tintin, qu’est au ballon ! « , replique de Loulou (Arletty) dans Fric-frac.

  2. Jacques Ibanès dit :

    Naguère, en Provence, on disait d’une femme enceinte qu’elle avait le ballon…

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