La face cachée de la caisse-enregistreuse

L’époque en avait vu d’autres. Mais en février 1973, lorsque le groupe Pink Floyd lâche sa bombe intitulée « The dark side of the moon », le moins que l’on puisse c’est que l’album fait un tabac. L’intégration d’une caisse-enregistreuse au milieu de tous les instruments sollicités, tous les sons et voix mobilisés, fut également le signe annonciateur d’un enrichissement inédit pour les membres du groupe. Bien que, des années plus tard, l’opéra-rock  « The wall » allait encore faire mieux « en termes de dollars » comme devait l’expliquer en mars 1993 dans une interview à l’Observer magazine,‎ le guitariste en chef, David Gilmour. Oui cette chanson « Money », celle qui ouvrait la face 2, devait préfigurer un succès toujours plus grand mais il est aussi possible de dire avec un recul de pile cinquante aujourd’hui, que l’album serait l’un des grands emblèmes d’une période musicale passionnante, jamais retrouvée depuis en intensité.

Il a quelquefois été expliqué dans ces colonnes que concernant l’art, il y a eu une sorte d’explosion volcanique de 1910 environ jusqu’au début de la seconde guerre mondiale. Événement qui produit encore quelques scories ça et là mais on peut affirmer que l’effet de souffle s’est de beaucoup calmé. Certains, fort de leurs connaissances académiques, avaient, comme en poésie, montré comment il pouvait être intéressant de briser les règles pour libérer l’inspiration. On en conviendra, comme en poésie par ailleurs, un déchaînement créatif s’en est ensuivi, reléguant l’humble paysagiste du dimanche au niveau des pêcheurs  à la ligne.

Mais la musique n’avait pas vraiment connu de mouvement révolutionnaire si l’on excepte le jazz, resté cependant discret dans son couloir pour amateurs avertis. Or les mouvements de libération sociétaux ayant germé dans les années soixante, l’usage des drogues et l’apparition du psychédélisme allaient voir des musiciens s’extraire avec force, de la musique classique et de la variété. C’est ce que l’on a appelé fort justement la « pop musique » et cinq décennies plus tard l’appellation apparaît encore mieux que bien avisée.

C’est ainsi qu’est progressivement apparu le groupe Pink Floyd, lequel avec quelques autres, allait puissamment dévoyer les lois du solfège en vigueur jusque-là. Et ne surtout rien s’interdire ce qui n’est sans rappeler en son temps, la désorganisation préméditée et orchestrée de la peinture cubiste avec ses épigones comme l’action painting. Dans « The dark side of the moon » on entend non seulement une caisse-enregistreuse, non seulement l’inclusion de voix humaines selon un protocole mêlant des réponses hasardeuses à des questions précises, mais aussi l’intervention du fameux synthétiseur VCS 3 (inventé en 1969 par Peter Zinovieff, Tristram Cary et David Cockerell), l’indispensable machine pour les compositeurs de musique dite planante. Sur l’album « The dark side of the moon », l’effet décollage est quasiment garanti.

Le titre dans son ensemble a pu faire l’objet de critiques ce qui est normal, mais s’il y a bien une chose que l’on ne pouvait pas reprocher à la formation britannique, c’était d’avoir composé une œuvre singulièrement homogène sans compter un de ces sons globaux qui fait que l’on reconnaît tout de suite la marque d’un groupe ou d’un artiste. Les voix de David Gilmour, de Roger Waters, les percussions signées Nick Mason, le jeu de guitare flamboyant de Gilmour et la basse de Waters (sachant en plus que les deux compères se sont partagé l’utilisation du VCS 3,) ont accouché d’un album extraordinaire réputé l’un des plus vendus de tous les temps. Il contient un morceau assez émouvant « Brain damage » qui n’est pas sans évoquer l’un des membres historiques du groupe Syd Barret, lequel avait fini par perdre sa santé mentale à force d’ingérer du LSD, drogue puissamment hallucinogène. « Il y a quelqu’un dans ma tête mais ce n’est pas moi » dit entre autres choses le texte, annonçant une période qui allait faire quelques victimes.

Peut-être que l’on mesure mieux, seulement maintenant, l’exceptionnel foisonnement musical des années soixante-dix. Avançons qu’il n’y en a pas eu d’autres depuis mais seulement des conséquences, plus ou  moins heureuses. Sans doute que ce début du 21e siècle est en attente d’une nouvelle innovation, d’un mouvement qui ayant fini de buter aux parois d’un univers clos et empesé de trouvailles usées dès le lendemain de leur découverte, finira par trouver une brèche. Si cela se trouve, ce sera du fait de cette intelligence artificielle qui frappe à nos portes de plus en lourdement. On peut paraît-il lui demander presque n’importe quoi. Peut-être que des musiciens ou des artistes de façon plus générale, sauront en extraire quelque chose d’excitant.  Si ça ne fonctionne pas on pourra toujours prendre le maquis avec des albums de Pink Floyd et consorts en bandoulière.

PHB

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2 réponses à La face cachée de la caisse-enregistreuse

  1. Gilles Bridier dit :

    …et une mélodieuse pensée pour la chanteuse Clare Torry et sa voluptueuse envolée dans The Great Gig in the Sky de cet album d’anthologie The Dark Side of the Moon.

    • jean-michel cedro dit :

      Mais oui! Qui connaît encore Clare Torry ? Merci Gilles. Et merci Philippe pour cet hommage aux flamboyantes seventies.

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