Pas poli n’est pas français

Il paraît que l’écrivain allemand Heinrich Heine, quand il se rendait en France, se plaisait à heurter les passants uniquement «pour entendre la musique de leurs excuses». Depuis la mort de Heine en 1856, les conventions sociales se sont quelque peu émoussées et en ville, les invectives ont tendance à remplacer les mots d’excuse. Mais, malgré les apparences, et si l’on se réfère à l’opinion d’observateurs étrangers, nous serions prodigues en formules toute faites et en expressions convenues pour se concilier les bonnes grâces d’un interlocuteur. Nous les emploierions même à tout bout de champ ! «On se bouscule toujours à Paris… et on n’arrête pas de se dire pardon»,  faisait récemment remarquer un habitant de Tokyo pourtant habitué aux foules compactes. Il est vrai que notre conversation est émaillée en permanence de ces petits mots dont l’absence choquerait immédiatement. «S’il vous plaît, pardon, merci, je vous en prie, excusez-moi…» : autant de formules que l’on prononce un nombre incalculable de fois dans une journée.

L’apprentissage, voire le dressage, a lieu dès le plus jeune âge. L’enfant n’aura pas son cornet de glace s’il n’a pas utilisé l’indispensable «s’il vous plaît». Et il ne sera autorisé à le déguster qu’après le non moins indispensable «merci». Souvent la mère ou le grand-père, la tante ou la grande sœur, par une sorte d‘excès d’autoritarisme, poussera le sadisme jusqu’au «merci qui ?» obligeant l’enfant à se plier à la volonté de l’ascendant. On comprend dès lors pourquoi beaucoup d’enfants bien élevés lèchent leur crème glacée avec une certaine tristesse.

Si les Anglais, champions de la courtoisie, nous jugent parfois «so rude», les Espagnols, quant à eux, seraient plutôt agacés par notre politesse excessive. Ce que nous considérons comme une preuve de bonne éducation est souvent vu au delà des Pyrénées comme une forme d’hypocrisie nationale (en revanche, un Français pourra estimer que son ami espagnol se montre lui-même, en maintes occasions, «so rude»). L’Espagnol vous tutoiera très rapidement, ce qui est une preuve d’amitié, alors que le Français restera très longtemps sur son quant-à-soi, ce qui est pour lui une marque de respect.

En réalité, l’attitude du Français est très équivoque. La politesse apparaît bien souvent comme un simple code social n’empêchant nullement les incivilités, de la même façon qu’un parfum permettait, au Grand Siècle, de masquer les mauvaises odeurs. Nous ne sommes pas à ça près de doubler plus ou moins discrètement une file d’attente, mais en même temps, nous ne manquons jamais de remercier le voisin, le facteur, le guichetier, la boulangère, le garçon de café, le gendarme, bref tout le monde et son père, quel que soit le service rendu (ou non). Un repas au restaurant est particulièrement instructif. Entre le moment où l’on vous tend la carte et celui de l’addition, on aura remercié une petite dizaine de fois le serveur qui, après tout, ne fait que son métier. De son côté, le restaurateur croira bien faire en vous souhaitant «bonne dégustation», puis «bonne continuation». Avec un peu de malchance, vous aurez droit à la question piège «Ça s’est bien passé»? Il faut croire que certains aiment se mettre en danger. Après un repas particulièrement décevant, l’un des convives avait répondu à cette même question par «Le pain était bon».

Les nouvelles techniques de communication ont singulièrement modifié la donne. Le texto, ou sms (short message service), le mail (le mot courriel a bien du mal à s’imposer) ont obligé à la concision. Il faut aller doit au sujet sans s’embarrasser de formules. Formé aux traditions anglo-saxonnes, un patron de presse terminait sa lettre au lecteur par «Sincèrement», tradition littérale du «Sincerely» des anglophones, mais qui ne signifie pas grand chose chez nous. La formule la plus couramment utilisée en France, est aujourd’hui «cordialement», qui n’engage à rien, mais montre de bonnes dispositions. Certains vont très loin dans le minimalisme et se contentent d’un «CDLT» du plus mauvais effet.

Même si on ne peut regretter le temps des bateaux à voile et des lampes à huile, on éprouvera une certaine nostalgie à la lecture d’anciennes correspondances, qui abondaient en «respectueux hommages», «sentiments dévoués» et en «très haute considération», ce qui est finalement aussi bien que le «Merci pour votre retour» des banquiers ou le désinvolte « A1dC4 » des textos de potaches. Pour ce qui est des formules conclusives, il faut bien reconnaitre que la «Main amie», par laquelle Apollinaire terminait la plupart de ses courriers, avait quelque chose d’éminemment sympathique.

Gérard Goutierre

Image: frontispice d’un livre du 17e siècle, copyright Gallica
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5 réponses à Pas poli n’est pas français

  1. ROUSSEAU dit :

    très justement remarqué M.Goutierre
    je rajouterai ,ayant séjourné assez régulièrement chez nos amis ( es) finlandais à Helsinki , que le merci ( kiitos en finnois) fut assez long à s’installer. il y a plus de 20 ans
    c’était même rustique !
    avec toute ma considération
    ( j’avais appris que respectueux hommages étaient réservés aux Dames mais
    peut être est ce faux )

  2. Quant à l’auteur du fameux  » Casse-toi pauv’con ! », il a fini par se casser !

  3. Jacques Ibanès dit :

    Autre « main amie » célèbre qui terminait systématiquement ses correspondances : celle de Blaise Cendrars (qui n’en avait plus qu’une depuis la guerre de 14).

  4. Tristan Felix dit :

    Cher penseur, escorté d’un humour des plus courtois,

    Vous m’avez bien fait rire. « Pas de souci ». Ciels ! Cette expression, devenue un TOC (trouble obsessionbel compulsif), comme d’autres quasi phatiques, « Allez ! », « celle zéceux » (avec chuintement) trahissent l’emballement grégaire de formules expéditives pseudo courtoises. Je pense aux pâtes à modeler de Svankmayer.
    Mais si vous passez par Saint-Denis, vous lirez devant chaque guichet de service public ou privé des formules mettant en garde contre toute agression verbale ou physique. Nous vivons une époque formidable.
    Avec ma sympathie. Muriel

  5. Philippe PERSON dit :

    J’ajouterai, en rebondissant sur mon prédécesseur qu’on a en France la police la moins policée du monde… Elle tutoie très rapidement, surtout si on n’est pas de la bonne couleur de peau ou que l’on arbore un signe distinctif religieux…
    Elle, elle ne s’excuse jamais… et sa parole comptant plus que celle des citoyens, elle peut embastiller pour des insultes imaginaires ou provoqués
    C’est la limite de notre discussion amicale : je préfère l’impolitesse des sauvageons à la très grande politesse des officiers allemands qui citaient Goethe avant de fusiller les titis résistants (grossiers et pas portés sur les mercis) de l’Affiche rouge ou de Chateaubriant.

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