In vitraux

Dieu sait que le champagne est fait, plus que n’importe quel autre vin, pour célébrer la vie. Autour de la ville de Troyes dans l’Aube, l’on y compte même quelques maisons fameuses. Et donc rien de plus naturel si la Cité du Vitrail, au sein de la même ville, honore en ce sens une œuvre verrière de Henri de Faucigny-Lucinge datée de 1874. Elle emprunte paraît-il aux codes de la peinture hollandaise, du rictus sarcastique du personnage jusqu’à la forme de la flûte à champagne et en passant par l’ensemble des vêtements. Elle a cependant un avantage technique par rapport à une peinture, c’est la translucidité naturelle due à l’emploi du verre, matériau conçu afin que transite la lumière et qu’étincellent les couleurs. C’est une des plus jolies choses parmi celles repérées au sein de ce beau musée inauguré en décembre. Il est situé dans l’ancien Hôtel Dieu-le-Comte de Troyes sur la rive gauche de la Seine. La mince largeur du fleuve à ce niveau de la géographie, permettrait presque de passer sur l’autre rive à pieds joints, en aplomb de l’antique maison du préposé aux ponts tournants.

L’une des bonnes idées de cette cité est de mettre le vitrail à hauteur de regard. Il est vrai que d’habitude, le vitrail ancien situé dans les églises, est susceptible d’occasionner des torticolis aux amateurs. Mais ici, sur trois étages, tous les vitraux sont sur notre ligne d’horizon.

La cité fait la part belle aux œuvres que nous avons l’habitude de voir dans les édifices religieux, eu égard notamment, à la richesse du patrimoine vitré local. En 1774, l’historien Pierre le Veil écrivait qu’il n’était « peut-être pas de canton en France qui renferme des vitres peintes aussi précieuses en un si grand nombre que la ville de Troyes en Champagne et ses environs ». Une remarque qui vaut toujours pour la cathédrale Saint-Pierre et Saint-Paul qui cumule 1500 mètres carrés de vitraux, mais aussi pour les églises qui parsèment les alentours. Le Moyen-Âge local était caractérisé par une prospérité économique notable, jointe nous est-il expliqué, à une « effervescence artistique, architecturale et culturelle, favorisée par l’action des comtes de Champagne ». Toute une histoire alternant hauts et bas économiques peut être racontée, à travers cette production particulière qu’est la production verrière.

L’intervention de la modernité n’a pas interrompu cette tradition. Les années cinquante voient l’arrivée dans les églises d’œuvres en rupture avec le passé sauf pour la matière proprement dite, comme dans l’église Sainte-Agnès (à Fontaine-les-Grès) qui intègre à partir de 1955 des verrières au goût du jour, conçues par un architecte troyen et un artiste rémois. C’est l’un des gros intérêts de la Cité du Vitrail que de s’ouvrir à la période moderne avec des compositions tout à fait convaincantes comme « La vitesse », soit un panneau de 1928 représentant une longue voiture filant comme l’éclair, commandité par l’Automobile-club Champagne-Ardenne. C’est d’ailleurs l’une des vedettes de la collection au même titre qu’un ange réalisé par René Lalique en 1926, sorti de la manufacture Vincent-Petit, toujours dans l’Aube.

Toute cette production récente ou contemporaine est vraiment plaisante à découvrir avec on l’a dit, cette brillance si particulière propres aux vitraux, rappelant aussi celle des photographies autochromes: une vraie luminothérapie. Y compris pour l’œuvre politiquement ultra-correcte de Kehinde Willey (connu pour son portrait de Barack Obama en 2018) car l’artiste américain a en effet repris tous les codes de la représentation chrétienne, sauf que son « Saint-Ameli » a la peau brune et qu’il porte un blouson, un jean et des baskets. L’artiste nous interpelle ce faisant avec cette évidence que l’iconographie religieuse chrétienne, à quelques exception près dont l’un des rois mages, ne comportait pas de personnages à peau noire.

En tout cas on ne s’ennuie pas une seconde dans ce vaste bâtiment si bien rafraîchi pour sa nouvelle mission. Avant de le quitter et de rejoindre le jardin attenant non moins remarquable, les visiteurs passeront par la chapelle afin d’admirer le seul vitrail bien trop haut perché pour en jouir. Il s’agit d’un oculus, soit une fenêtre ronde, comblée en l’occurrence par le peintre Fabienne Verdier, (1962-) connue pour les formes dynamiques qu’elle trace sur ses toiles. Son vitrail réalisé avec Flavie Serrière Vincent-Petit en 2021, est venu remplacer la rencontre de Saint-Loup, évêque de Troyes, avec le si délicat Attila, chef des Huns, en 451. Ce meeting au sommet fixé sur le verre avait été soufflé en 1944 par une explosion au moment de la libération de la ville. Le tourbillon peint au jaune d’argent (couleur signalée au 14e siècle) a été effectué avec un pinceau très grand, composé nous dit-on, de plusieurs queues de chevaux. D’étonnement, nos yeux s’arrondissent comme des oculus.

PHB

Cité du Vitrail, Hôtel-Dieu-le-Comte, 31 Quai des Comtes de Champagne, 10000 Troyes, train au départ de la gare de l’Est, temps de trajet une heure et demie environ

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Photos: ©PHB
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Une réponse à In vitraux

  1. anne chantal dit :

    Merci pour cette page lumineuse sur la cité du vitrail ..
    Je ne peux qu’approuver, et apprécier, y étant allée la semaine dernière.
    La balade dans la vieille ville avec ses maisons à pans de bois,et ces ruelles si étroites (ruelle des chats ) est pittoresque à souhait .

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