L’image de Picasso pâlit

Il y a de cela une vingtaine d’années, Marina Picasso déballait, dans le cadre de l’émission « Tout le monde en parle » (1), tout le mal qu’elle pensait de son grand-père. Lorsque Thierry Ardisson lui posa la question de savoir si Pablo Picasso (1881-1973) était « radin et maléfique », elle répondit que c’était un peu « schématique » mais que « c’était à peu près ça ». Et la tendance actuelle qui vise à juger autrement des époques révolues, a pris le relais. L’année 2023 est l’année du cinquantenaire de la disparition de l’artiste (ci-contre au musée Grévin) et l’on sent bien que quelque chose a changé. C’est l’homme dont on parle davantage que son œuvre, de son attitude abusive envers les femmes, de sa négligence à l’égard de ses enfants, ses proches, ou encore de sa passion de la corrida. D’autres y rajouteront son attachement au communisme soviétique à l’époque de Staline, afin de faire bonne mesure et emplir la coupe. À ce curriculum vitae, s’ajoute de surcroît une forme de lassitude due à la saturation des expositions thématiques, ou des livres qui sortent en permanence à son sujet.

Le mythe s’est donc terni et la fascination mondiale qui était à son sommet en 1956 lors de la présentation à Cannes du film « Le mystère Picasso » par Henri Clouzot, a fini par s’étioler.

On ne compte plus les expositions Picasso. Pour cette année du cinquantenaire de son décès (le 8 avril exactement), il y en aura 42 à travers le monde dans la plupart des grands musées, en Espagne, en France aux États Unis. Le Prado, le musée Guggenheim (Bilbao), les musées Picasso de Barcelone et Paris, le Centre Pompidou, le Metropolitan Museum of Art, c’est le branle-bas le combat ubiquiste pour ce rendez-vous destiné à saluer l’artiste « le plus célèbre et le plus emblématique de l’art moderne » selon les mots de la ministre française de la culture. Il vaut mieux chercher dans ces conditions, là où ça fait le moins mal et conséquemment, les positions authentiquement pacifistes de Picasso seront davantage surlignées que ce qui ne colle plus du tout avec les valeurs du 21e siècle.

Picasso n’a pas été tout seul à faire exploser le monde tranquille de la peinture. On peut parler de Cézanne, de Matisse, de Braque et de tous ceux qui ont pris le train de l’art moderne en marche. Mais sa puissance à lui était unique. Son inspiration, son élan vital, sa capacité de production jusqu’à ses derniers jours, en ont incontestablement fait un homme à part, ayant ouvert et éclairé des voies, un phénomène sachant « courir plus vite que la beauté » selon une citation de Jean Cocteau. Son génie est quasiment indiscutable et l’aisance dont il faisait preuve en direct devant la caméra de Clouzot pour réaliser une œuvre, reste assez stupéfiante. Une toile de Picasso surprend toujours et chaque musée détenant une ou plusieurs de ses toiles voit ses visiteurs marquer systématiquement le pas devant chacune d’entre elles.

Tout se mesure mais il est difficile de quantifier le nombre exact d’ouvrages déjà écrits sur lui et ceux à venir. Le nombre d’angles choisis par les auteurs semble infini et cette année du cinquantenaire va relancer la floraison. Certains thèmes avaient déjà été abordés sur sa vie privée mais il reste de toute évidence des choses à explorer.

Deux dangers on l’a dit guettent actuellement le mythe, la saturation mais aussi l’effacement au sens de la « cancel culture », ce phénomène visant à gommer les aspects devenus indésirables d’une personnalité eu égard aux nouvelles morales. Une vidéo ravageuse de huit minutes (2) ayant beaucoup circulé, le présente a minima comme un maltraitant, un avertissement indiquant en préalable que ses peintures trahissent  des « violences psychologiques et sexuelles » envers les femmes. Il est montré tel un « minotaure » mettant en scène le viol. Selon le propos du film, Picasso était le « mâle alpha ultime » emmenant ses compagnes à l’asservissement, la dépression ou la mort. Et qu’il n’est pas possible de séparer la vie de son œuvre précisément parce qu’il la met en scène.

Le 20e siècle a pour caractéristique naturelle d’être très bien documenté et d’une certaine façon, Picasso réapparaît comme un secret-défense déclassifié. Georges de la Tour (1593-1652) était peut-être un monstre en plus d’être un génie mais on n’en saura jamais rien tellement les renseignements à son sujet sont rares. Mais l’agenda des procès en moralité pour les auteurs et artistes du siècle passé ne cesse de se remplir. La volonté de mettre toutes les vérités sur la table n’est pas forcément une mauvaise chose dès lors qu’elle ne débouche pas sur une sorte de censure à retardement.

PHB

(1) Le témoignage de Marina Picasso sur Youtube
(2) La vidéo « Picasso=merde »

 

Photo: @PHB
Print Friendly, PDF & Email
N'hésitez pas à partager
Ce contenu a été publié dans Anecdotique, Peinture. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

2 réponses à L’image de Picasso pâlit

  1. La vérité finit toujours par sortir du puits…

  2. Marie-Hélène Fauveau dit :

    Il me semble avoir vu dans ce billet mention d’un livre sur une femme de Picasso très peu connue et écrit par un contributeur des Soirées…et je ne trouve plus cette référence… Etais-je encore ensommeillée ? merci de m’éclairer…
    Humblement je dirais que vu l’expo du Musée P de Paris et que j’ai apprécié l’humour parfois grinçant de Paul Smith qui pratique des rapprochements pour faire fonctionner mes vieux neurones et aussi les peintures (dans les sous-sols) de Moinard dont je ne connais pas la vie personnelle…
    Au plaisir de vous lire

Les commentaires sont fermés.