Le fantôme de Saint-Cloud

Et dire que cette petite chose grise que l’on distingue dans sa châsse est sans doute un bout de radius ou d’humérus ayant appartenu à Clodoald, fils de Clodomir et petit-fils de Clovis. Il est mort très jeune le 7 septembre 560, à Novigentum hameau d’une cinquantaine de feux, aujourd’hui devenu Saint-Cloud dans les Hauts-de-Seine. On avait pourtant pris soin des restes de cet homme susceptible d’accomplir des miracles eu égard à sa relation directe avec Dieu. À la Révolution tout avait été saccagé, mais une dame assez rapide avait récupéré cet ultime échantillon afin de le restituer une fois les émeutes terminées. Cet os qui n’est pas à ronger laisse croire, par sa modestie, qu’il est authentique. Contrairement au Saint-Suaire de Turin qui reste malgré tout en vitrine, photographié tous les jours par des touristes crédules. Quand même, il y a de quoi être pris d’un léger vertige, devant ce mince vestige d’un prince né en 522,  ayant échappé à une mort violente grâce à son entrée en religion. Quinze siècles nous séparent de lui.

Ce n’est pas tous les jours, sauf à l’école, que l’on évoque les Mérovingiens. La mémoire des hommes a tendance à raccourcir. En tout cas ce passage par l’église de Saint-Cloud et plus précisément, passé le massif bénitier, au pied du reliquaire, nous rappelle à eux. Contrairement à ce que l’on peut imaginer, il y a eu suffisamment de textes durant cette période pour que les historiens établissent un récit crédible de ces temps lointains. Notamment celui de Grégoire, évêque de Tours, rédigé en latin de 573 à 594, sans espaces entre les mots, sans ponctuation, mais avec de belles lettrines décorées de motifs champêtres. Nous appartenons à un nouveau siècle qui aime « recontextualiser », il faut en profiter pour (re) connaître une histoire qui ne se limite pas au vase de Soissons et à l’enterrement de Childéric, le père de Clovis, à Tournai. Le départ de la dynastie est légendaire. Puisque le premier d’entre eux serait né d’une union entre une reine franque et un dieu de la mer et c’est au roi Mérovée, être un peu mythique antérieur à tout le monde que l’on doit la famille et le nom des Mérovingiens. Nombre d’épisodes ont suivi avec des luttes de territoires épiques incluant la chasse aux Wisigoths, lesquels firent se déplacer Clovis jusqu’à Bordeaux. Il occupa son temps à liquider nombre de roitelets avant de mourir en 511 et être enseveli quelque part sous les pavés de l’actuelle rue de la Montagne Sainte-Geneviève à Paris.

C’est après que deux de ses héritiers, Clotaire et Childebert, dans l’idée de faire un peu de ménage chez les potentiels concurrents, décidèrent de faire la peau aux fils de leur frère Clodomir (décédé) sauf le petit Clodoald qui s’empressa de faire valoir sa fraîche tonsure signifiant l’abandon de toute ambition. Et c’est donc grâce à lui que l’on doit le nom de cette jolie ville bâtie sur une colline juste au-dessus de la Seine, grâce à lui encore et par extension que les turfistes s’adonnent à leur vice sur l’hippodrome de Saint-Cloud. Les Mérovingiens nous ont donné la France, ce n’est pas rien. On ne sait pas si Childéric III, le dernier du genre, mourut avec le sentiment du devoir accompli. Toujours est-il qu’allait alors s’ouvrir l’ère carolingienne ouvrant durant un siècle et demi d’autres chapitres de notre histoire. Mais nous nous éloignons de Clodoald.

Quand la nuit tombe sur Saint-Cloud, cette cité dortoir déjà peu animée le jour, se transforme en grand dortoir. Sur ses trottoirs il n’y a plus âme qui vive. Et certains vieux Clodoaldiens, par exemple quelques habitants sortis nuitamment afin que leur chien se soulage, ont cru apercevoir certains soirs le jeune Clodoald raser les murs de son ancien hameau. C’est un spectre dont on ne discerne que les blancs et translucides contours. Tous les témoignages concordent sur ce point. Il paraît que certains jours de l’année, il chemine auprès de Clotilde, sa grand-mère. Tout le monde s’accorde à dire qu’ils ont l’air d’avoir le même âge et qu’elle est revêtue d’une robe diaphane, portant à son cou un collier d’or serti de grenats. Il paraît qu’ils filent alors vers Paris du côté de la montagne Sainte-Geneviève afin de retrouver Clovis ainsi que les deux frères de Clodoald, Thibaut et Gonthier.

C’est du moins ce qui nous a été raconté  par un type qui, sans jamais relever la tête,  faisait semblant d’épousseter le bénitier de l’église, juste à côté d’un pilier joliment nimbé du reflet coloré des vitraux. Sachant au passage qu’il vaut mieux éviter de contrarier ces témoins-là car on ne sait jamais de quels occultes pouvoirs ils seraient par hasard dotés. Pas le moment de raviver les tensions avec les ancêtres vu que le compte est déjà bien atteint avec les contemporains.

PHB

 

Église de Saint-Cloud, 5 place Saint-Clodoald
Photos: ©PHB
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2 réponses à Le fantôme de Saint-Cloud

  1. Martine Esquirou dit :

    L’Histoire revisitee par Philippe : j’adore

  2. Pierre DERENNE dit :

    Qu’il est agréable de lire ce parcours reliquaire. Merci

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