Gibets et cachots

Cette image pouvant faire penser à Jackson Pollock, chantre de l’action painting, n’est en fait qu’une marque de censure. Afin de tuer le temps et d’entretenir leurs convictions, certains prisonniers du donjon de Vincennes (Val de Marne), garnissaient les murs de leur cellule avec des œuvres graphiques de leur cru. Mais, comme elles ne plaisaient pas forcément aux commanditaires de leur incarcération, une main féroce les rayait en tout sens. Ce qui donne cette modernité abstraite ne manquant pas de frapper l’œil averti. Un panneau nous informe sur l’un des auteurs. Il s’agissait de Étienne Antoine Boulogne (1747-1825) archevêque de Troyes, lequel s’était opposé à l’empereur Napoléon en prenant parti pour le pape Pie VII. Cette même salle de réclusion aurait aussi été celle du comte de Mirabeau (1749-1791).

Pourvu que l’on disposât de quelques moyens, il était possible de survivre correctement en ces lieux en se faisant livrer ce que de besoin. Et il y eut quand même un peu de monde pour séjourner sous la contrainte au château, comme en témoignent de nombreux graffiti, telle la trace gravée d’un obscur Dupont en 1848. Vincennes avait d’abord été une résidence royale. L’ensemble impressionne toujours en lisière du bois du même nom et encore plus à l’intérieur qui se visite, comprenant le chemin de ronde, la chambre du roi avec sa cheminée noircie, une chapelle et toutes ces pièces adjacentes devenues cellules.

Et ils avaient de la chance dans leur malheur ces prisonniers, puisqu’il était possible de dîner correctement, de recevoir et même de s’évader avec bien plus de facilité que d’une prison contemporaine. Il n’en allait pas de même dans les quartiers de Paris, pour le tout venant de l’ancien régime. Ceux que l’on préférait torturer en public avant de les tuer par écartèlement ou de les pendre aux gibets du coin de la rue dont celui de Montfaucon, non loin de l’actuel hôpital Saint-Louis.

C’est notamment ce qu’il ressort d’un livre passionnant sorti en 1956 aux Éditions de Minuit, signé Jacques Hillairet et précisément intitulé « Gibets, piloris et cachots du Vieux Paris ». À cette époque, le simple rappel à la loi n’existait pas vraiment. Chaque quartier allait de pair avec un fief juridictionnel où le patron pouvait ordonner que l’on ébouillante, que l’on sectionne ou que l’on brûle vif les malheureux clients. Au Moyen-Âge on savait donc ce que passer un sale quart d’heure signifiait et encore avait-on de la chance si l’opération ne durait qu’un quart d’heure. De ce point de vue, le livre de Jacques Hillairet nous fait passer de sales moments même si nous sommes bien obligés d’admettre que cette lecture est captivante. Ce qui pourrait nous faire conclure avec effroi que peut toujours sommeiller en chacun de nous une hérédité de bourreau ou d’amateur de certains spectacles. Chaque guerre civile jusqu’à aujourd’hui, en a d’ailleurs apporté la preuve.

Cependant, il était possible d’être gracié, par exemple si la corde du gibet cassait. Une autre combine consistait à accepter d’épouser une ribaude qui en faisait la demande. Jacques Hillairet raconte qu’un jour, dans ce dernier cas, « un bandit de grand chemin ainsi réclamé, fut tellement effrayé par la laideur de la requérante », qu’il cria au bourreau: « Accroche; accroche; accroche-moi vite, compère! »

Ce plan de Paris un peu particulier fait qu’il sera difficile au lecteur, d’emprunter par la suite la rue Saint-Germain l’Auxerrois (1er arrondissement) sans songer à la prison de For-l’Évêque et où furent enfermés des vedettes comme Cartouche, Voltaire ou Beaumarchais. On y pratiquait la « question » à coup de tenailles, comme en témoigne une gravure ancienne. Mais la plupart en sont sortis sains et saufs après y avoir été conduits pour des motifs abscons. Ce fut le cas notamment au 18e siècle pour des danseuses, actrices ou cantatrices, jetées là ne serait-ce que pour avoir démarré un spectacle en retard. Comme en 1781 par ailleurs,  quand la cantatrice mademoiselle Laguerre, fut privée de liberté pour s’être produite ivre durant la deuxième représentation de « Iphigénie en Tauride » (Gluck), au point de vomir sur la figurante qui faisait de son mieux afin qu’elle se tînt droite.

De cette prison de For-l’Évêque il ne reste plus rien. Alors que pour le gibet de Montfaucon, Jacques Hillairet affirme que dans un parking souterrain de la rue Grange aux Belles, il subsiste deux piliers de l’édifice, celui que l’on désignait aussi par l’expression « fourches patibulaires ». Les corps restaient exposés jusqu’à leur désintégration. Sauf pour Jean de Montaigu sous le règne du dérangé Charles VI (1366-1422). Le Jean en question fut décapité avant d’être pendu, la tête restant aux Halles exposée au bout d’une lance. Comme il fut réhabilité plus tard, sa famille récupéra le corps à Montfaucon, la tête aux Halles et le tout fut inhumé à Marcoussis. Il paraît que nous devons à ce Montaigu le bronze qui fait le bourdon de Notre-Dame. On y repensera désormais en l’entendant sonner.

 

PHB

« Gibets, piloris et cachots du Vieux Paris », Jacques Hillairet, Éditions de Minuit  1956

Photo: ©PHB
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Une réponse à Gibets et cachots

  1. Philippe PERSON dit :

    Incarcérer les gens en retard, quelle bonne idée !
    Toute la direction de la SNCF serait en quartier VIP et on aurait déjà pu destituer le petit président…

Les commentaires sont fermés.