Les musées de Nîmes mis en abyme

Même s’il n’est qu’attribué à Antonio Canaletto (c’est à dire qu’il subsiste un doute) il est toujours bon pour un musée d’en afficher un. Et pour le visiteur de passage, cette vue (vedute) du Rialto à Venise (détail) aimante irrésistiblement le regard. À l’examiner attentivement, cette toile ressemble bien à du Canaletto (1697-1768) c’est tout ce que l’on peut rajouter, hormis bien sûr qu’elle est belle dans son ensemble et jusque dans chaque micro-scène qu’elle contient, comme souvent chez l’artiste italien. Elle se trouve au musée des Beaux-Arts de Nîmes (Gard). C’est de loin le moins visité de la ville en comparaison de la fréquentation du musée de la Romanité aux allures de hub aéroportuaire et du non moins tendance Carré d’Art voué à l’art contemporain. Comme ce dernier fête ses trente ans, un lien de circonstance s’est tissé entre les trois musées. Et c’est même une sorte de mise en abyme, à tout le moins une chambre d’échos, puisque la Maison Carrée, ancien temple romain, non seulement se mire dans les vitres du Carré d’Art juste en face, mais c’est aussi ce vestige qui, après moult usages, abrita en 1821 la première collection du musée des Beaux-Arts. Avant qu’elle ne soit transférée dans l’édifice actuel non loin de la gare. Cette Maison Carrée totalisant environ 1900 ans, il faudra sans doute attendre le chiffre rond des deux mille pour organiser la bamboula de son deuxième millénaire.

En attendant, le discret musée des Beaux-Arts a dû sacrifier un peu de sa sérénité habituelle, eu égard à l’anniversaire du Carré d’Art, en accueillant quelques œuvres modernes de Martial Raysse (1936-). Le bâtiment a été construit voici un peu plus de cent ans (de 1903 à 1907) et ses collections sont faites de différentes écoles (françaises, italiennes, nordiques…) sur des périodes allant du 16 au 19e siècle. Ses collections ont acquis l’extrême sagesse de celles qui n’ont plus rien à prouver. Étanches aux effets de mode, elles guettent les rares visiteurs dont les pas sonores éveillent l’attention des employés destinés au gardiennage de chaque salle.

Il est agréable de se promener dans ces lieux hors du temps à la recherche de bonnes surprises comme le probable Canaletto dont nous avons parlé plus haut. Si l’on excepte toutefois le pénible moment passé devant les toiles géantes figurant dans l’ordre l’arrestation de Saint Jean-Baptiste, sa décapitation et la présentation de sa tête à Hérodiade (princesse juive, petite-fille d’Hérode le Grand). Les trois épisodes qui occupent toute la hauteur sous plafond, ont été réalisés par le peintre nîmois Reynaud Levieux (1613-1699). Quel que soit le signataire et son talent, toutes ces scènes de mise à mort à caution chrétienne, ravivent sans le faire exprès notre appétit pour l’art abstrait.

D’ailleurs quitte à prendre un nîmois sur des toiles dont l’unité de mesure est le mètre carré, on préférera les deux méga-ensembles signés Charles-Joseph Natoire (1700-1777). Deux d’entre elles nous montrent « L’Arrivée de Cléopâtre à Tarse »  et « Le repas de Cléopâtre et de Marc-Antoine »,  dans un genre réjouissant, grandiloquent, foisonnant, et tout à fait passé de mode. Dans les deux cas, il semble que Cléopâtre n’avait pas pris le temps de rajuster son sweat permettant ainsi à l’artiste de se faire plaisir en laissant échapper un sein. Si ce type de détail n’était pas forcément spécifié dans la commande, on peut se douter que cela n’avait pas terni la satisfaction du commanditaire au moment de la livraison.

Le fait que l’on ne soit guère bousculé dans cet établissement pousse à s’attarder devant chaque chose mise en avant. Le mot chose n’est du reste pas mal choisi s’agissant d’un règlement intérieur des musées de Nîmes, exposé dans son cadre, datant de 1906 et signé par son maire, un certain Crouzet. Il y était stipulé entre autres points que les gardiens étaient invités à « la plus grande politesse », qu’ils ne devaient en aucun cas recevoir de pourboire et que les visiteurs se voyaient autorisés à conserver avec eux leurs cannes et leurs parapluies, avant de gagner la sortie au moment d’une fermeture signalée par un son de cloche.

Si l’on ajoute un très intéressant Museum d’histoire naturelle, la capitale gardoise dispose, sur la question muséale, d’un certain répondant. Ce n’est pas le moindre de ses atouts avec, on l’a dit, son Carré d’Art trentenaire (ci-contre), mais aussi ses jardins et ses arènes. En y faisant son instruction militaire, Apollinaire avait aussi laissé entendre qu’il n’y rigolait pas tous les jours (1), mais c’était il y a longtemps. Son imagination, sa capacité à se distraire de tout et la visite d’une certaine Lou, avaient tout de même compensé ses états d’âme et empli ses temps morts. États d’âme qui lui avaient fait écrire, mêlant humour et amertume, qu’il avait tant aimé les arts qu’il était devenu artilleur.

PHB

(1): « Si tu savais mon bon André/ Comme on peut s’emmerder à Nîmes » (Lettre à André Rouveyre, 19 mars 1915

Photos: ©PHB
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Une réponse à Les musées de Nîmes mis en abyme

  1. Jacques Ibanès dit :

    La caserne où l’artilleur fit son instruction est toujours en place bien dans son jus, au centre ville. Quant au café Tortoni, il s’est métamorphosé en un Monoprix …

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