Tombé dans le cinéma étant petit

Steve McQueen ne lisait pas les scénarios. Il ne lisait que des magazines automobiles. « Il pouvait vous parler de la cylindrée d’un moteur, du démontage d’un carburateur de moto ou discuter armes jusque vous n’en puissiez plus », mais, pour ce qui était de la lecture d’un scénario, c’était sa femme Niele McQueen qui s’en chargeait. Cet aspect de l’icône du cinéma américain est mentionné dans le livre que vient de sortir Quentin Tarantino (« Pulp Fiction », « Kill Bill » etc.) sur le cinéma. Le réalisateur explique d’emblée pourquoi « Bullit » tourné par Peter Yates et sorti en 1968, est selon lui un monument du cinéma américain. Et comment McQueen « est » le lieutenant de police Bullit, dont le nom donne le titre au film. Comment il a hésité à incarner un flic alors qu’il était dans le privé, en pleine période flower power, en pleine mouvance hippie jusqu’à porter des colliers de perles. Alors que son Bullit est d’une sobriété extraordinaire, imprimant tout le film aux côtés de personnages comme le « détestable » Robert Vaughn interprétant le sénateur Walter Chalmers. Ce film est une réussite sous tension permanente, notamment appuyée par l’impeccable bande-son signée Lalo Schifrin . Mais ce qui compte ici, ce qui réactualise en quelque sorte « Bullit », c’est l’analyse admirative de Tarantino.

Quentin Tarantino est probablement un grand cinéaste avec des réalisations très originales notamment caractérisées par des dialogues anormalement longs. Dans son livre, intitulé « Cinéma spéculations », l’auteur assure ne pas avoir voulu parler de lui même si, forcément, cela transpire un peu aux entournures. Né en 1963, il raconte de quelle façon il est venu au cinéma, comment il est tombé dedans très tôt, juste parce que sa mère et ses beaux-pères préféraient l’y emmener plutôt que le confier à une baby-sitter. Comme il habitait Hollywood, c’était tout de même pratique avec les boulevards jalonnés de grandes salles de projection.

Sa carrière a pour ainsi dire pris souche à sept ans, révèle-t-il, lors de sa première sortie au ciné, et la plupart du temps pour voir des films destinés aux adultes. Il ne devait pas poser trop de questions à ses accompagnateurs même s’il ne comprenait pas tout, singulièrement les scènes de violence ou de sexe, fréquentes au début des années soixante-dix comme dans le mythique « Mash » (pour Mobile Army Surgical Hospital) une comédie satirique et déjantée signée Robert Altman, sortie en 1970. « Ces films pour adultes étaient incroyables, putain » se souvient aujourd’hui Tarantino. Cela permet de comprendre tout ce qui a pu l’influencer dans sa carrière notamment pour « Django Unchained » (2012) comme le lecteur pourra le découvrir à la toute fin sensible du livre.

Un jour, le jeune garçon avait interrogé sa mère afin de savoir s’il était bien normal à son âge de découvrir des films « que les autres parents interdisaient à leurs enfants » avec des images comme « le cadavre de la fille nue » dans « L’inspecteur Harry ». Réponse de Connie, la maman: « Quentin, je me fais bien plus de souci pour toi quand tu regardes les infos. Un film ça ne peut pas faire de mal. » Et ce qui est frappant c’est que Tarantino se souvient encore du seul film qui avait traumatisé le gosse qu’il était: « Bambi », le dessin animé de Disney. Surtout quand le faon perd sa maman et que la forêt brûle. Vu la liberté précoce que la mère de Tarantino avait octroyée à son fils, il est permis voir dans cette déclaration un lien tangible (parmi tous les autres) de cause à effet.

Avec ce livre assez épais, l’auteur se pose en conteur de ses passions cinématographiques, avec une partialité qui ne se cache pas dans le choix des références et un regard technique intéressant. Il nous raconte la genèse de l’un de ses films fétiches, soit « The Getaway » réalisé par Sam Peckinpah et sorti en 1972. Et pourquoi Ali MacGraw fut finalement choisie pour jouer aux côtés de Steve McQueen dont elle deviendra la compagne.  Tarantino reconnaît que dans un premier temps il n’avait pas été emballé par elle (connue pour avoir été en 1970, la vedette de « Love Story », monument de niaiserie s’il en est). Mais que visionnage après visionnage il avait radicalement changé d’avis. Seuls les Français comprendraient que ce film ultra-violent était aussi une histoire d’amour, affirme en substance Tarantino. Lequel ne manque pas au passage de pointer les quelques faiblesses du film et le manque de fidélité au roman éponyme de Jim Thompson publié en 1958.

Tarantino vit le film -interdit aux moins de treize ans- la première fois en 1972 (à neuf ans…), au Paradise Theater à Westchester, une commune de de Los Angeles proche de l’aéroport. Le haut dosage de violence et d’amour de « The Getaway » devait le marquer durablement. Ce qui fait qu’au fond c’est un peu vrai, Tarantino se livre, en nous donnant ce qui est rare, l’impression de ne jamais rien maquiller.

PHB

« Cinéma spéculation », Quentin Tarantino, Flammarion, 25 euros

Print Friendly, PDF & Email
N'hésitez pas à partager
Ce contenu a été publié dans Cinéma, Livres. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

3 réponses à Tombé dans le cinéma étant petit

  1. estibaliz dit :

    Bonjour,

    Merci pour vos publications, j’aime bien vous lire.

    Par contre corrigez l’orthographe de Tarantino.

    Merci beaucoup!

  2. estibaliz dit :

    Je vois que c’est fait!
    Merci beaucoup!

    E

  3. alain BOUTRY dit :

    Bullit est effectivement un film très séduisant avec une musique un peu jazzy parfois comme lors de l’épisode au restaurant,avec la nécessité d’avoir le cœur bien accroché lors de la dégringolade en voiture des rues de San-Francisco!Assez d’accord aussi pour le « Getaway » mais Peckinpah reste pour moi d’abord un des plus importants réalisateurs de westerns avec surtout « the wild bunch »où il a amené ce genre si apprécié aussi de B.Tavernier à son apogée.Ce qui n’est,hélas,pas le cas de celui de Tarantino, »Django unchained »qui m’a fait l’effet d’un parfait navet à la sauce italienne!

Les commentaires sont fermés.