L’amour et l’étiquette

Il faut avouer que dans nos démocraties républicaines on ne sait plus trop de quelle façon se comporter en présence d’un roi. L’une des qualités du film de Maïwenn est de nous rappeler certains codes si d’aventure nous avions à connaître un changement de régime à l’envers. Et l’un des trucs que doit apprendre Jeanne du Barry est qu’il ne faut jamais tourner le dos au roi, en l’occurrence à Louis XV. Il faut partir à reculons dans une sorte de numéro de claquettes assez ridicule. Femme libre, elle obtiendra du roi la permission de manœuvrer devant lui normalement. Johnny Depp interprète avec justesse Louis XV et le fait en français. En plus d’être la réalisatrice, Maïwenn est une Jeanne du Barry pas vraiment ressemblante avec les portraits que l’on a conservés de la vraie, mais elle impose sans conteste un jeu enlevé, puissant et finalement convaincant. Elle y est la femme ambitieuse qui se sort progressivement de l’ornière de la roture pour emporter le trophée suprême en la personne du roi. Concupiscente, gourmande, pleine de santé, insolente, irrévérencieuse, amoureuse  enfin, elle devient sa favorite malgré les sifflements vipérins des alentours.

S’il y a bien quelque chose qui fonctionne dans ce film en tout cas, ce sont les images et plus particulièrement les cadrages, les lumières, les décors intérieurs et les jardins. Les costumes sont terribles avec une mention spéciale pour les coiffures des femmes. Ce sont des dômes vertigineux, montés en crème telles des pâtisseries extravagantes. Il faut prendre ce film comme un joli conte, une histoire d’amour dévorant, même si le roi meurt de la vérole, même si Jeanne du Barry lui survit mais finira décapitée au moment de la Révolution.  Nous ne sommes pas dans un livre d’histoire, certains y trouveront sûrement à redire, mais ils auront raté le plaisir de se laisser guider par une caméra très inspirée et une bonne direction d’acteurs.

Même la star Johnny Depp a fait savoir qu’il avait été impressionné par Benjamin Lavernhe, lequel a été recruté pour revêtir les habits de valet du roi. On avait notamment fait sa connaissance dans « Le sens de la fête » le film de Éric Toledano et Olivier Nakache (avec Jean-Pierre Bacri et Gilles Lellouche) sorti en 2017. Il y jouait le rôle d’un futur marié à la fois très content de lui et insupportable, créant ce faisant un antagonisme parfait avec Bacri. Dans « Jeanne du Barry », la métamorphose est complète. Son personnage, Jean-Benjamin Laborde, avait été musicien avant de devenir le premier valet du roi (et de finir lui aussi décapité). Benjamin Lavernhe excelle en favori, dans sa façon si subtile de créer des liens avec Jeanne, celle à qui il enseigne l’apprentissage de l’étiquette et plus globalement comment survivre dans une Cour aux mœurs impitoyables. Dans certains passages en outre, dans l’ombre d’une calèche par exemple, son visage ressemble étrangement à celui de Piccoli jeune.

On admettra facilement que l’autre surprise est Pierre Richard. L’homme qui s’approche irrémédiablement de ses quatre-vingt dix ans (il est né en 1934) était jusqu’ici davantage connu pour ses personnages de pierrot clownesque, de grand blond rêveur et gaffeur, aux antipodes de la galerie des hommes virils ayant caractérisé le cinéma français. Ce n’est pas qu’il ait ici pris du muscle, non, mais enfin on lui a confié l’interprétation du duc de Richelieu (1696-1788). Il y est impeccable. Manœuvrier entêté, madré, profiteur, calculateur, c’est lui qui fait en sorte avec le comte du Barry, que Jeanne soit présentée au monarque.

Elle redonne à Louis XV le goût de vivre, le goût de la fête. Et c’est peut-être ça le propos général du film, celui consistant à démontrer que pour commencer, il ne faut pas hésiter, avant qu’il ne soit trop tard, à envoyer valdinguer certaines convenances malgré les gloussements de réprobation. Surtout le jour où elle apparaît en pantalon, provoquant l’opprobre de celles qui ne l’appellent pas autrement que « la créature ». Manger, boire, rire, aimer, Jeanne du Barry remet toutes les fonctions vitales du roi en marche. Avec d’autant plus d’efficacité qu’elle semble elle-même une pratiquante convaincue de cette façon de faire. Et d’une certaine façon, en se voyant reprocher par certaines critiques de se mettre en avant (ce qui est pourtant le principe d’un rôle titre), Maïwenn éveille les mêmes jalousies que son personnage.

Durant près de deux heures en tout cas, elle nous convie à une belle balade, résultat d’une ambition qu’elle aura réussi à porter jusqu’au bout. Johnny Depp incarne plutôt bien la toute puissance royale y compris sur le lit où il agonise, défiguré par la vérole. Après son dernier souffle, on voit son valet sortir sur le balcon, puis éteindre la bougie signifiant que Louis XV est mort et que le Dauphin peut prendre la suite. Le roi, la favorite et le valet, c’est le tiercé gagnant du film, comme à Vincennes.

PHB

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