« Le langage corporel d’un tas de linge sale »

Ainsi parlait Quentin Tarantino pour illustrer par l’image, ses indications à Robert De Niro, dans le film « Jackie Brown ». Car l’acteur, l’un des protagonistes du film sorti en 1997, devait interpréter un truand violent, doté d’un niveau intellectuel si limité qu’il pouvait observer un téléphone en train de sonner sans réagir. Tarantino n’avait donc pas trouvé de meilleure comparaison que le « tas de linge sale » afin que de Niro puisse situer ce qu’attendait le réalisateur. Le résultat fut bluffant. Après avoir vu les rushes, le cinéaste convint plus tard, qu’il avait alors pris conscience de la stature hors normes du talent de l’acteur, de sa capacité à intégrer si complètement quelqu’un d’autre. Cette intervention de Tarantino constitue une portion d’un documentaire cinq étoiles réalisé en 2023 par Jean-Baptiste Péretié et actuellement diffusé sur Arte. Un film sur Robert De Niro dont la seule faiblesse réside dans le titre soit « L’arme du silence ». Car l’acteur, tout comme Marlon Brando, savait jouer des silences. Il faut dire qu’un tel sujet est difficile à titrer. Au demeurant cela n’a guère d’importance d’autant que le commentaire est servi par la diction forcément impeccable de Denis Podalydès.

L’autre challenge était de faire tenir toute une vie d’homme en moins d’une heure, mais là aussi, la feuille de toute a été bien exécutée. Quelques instants sont même consacrés à l’enfance de Robert De Niro (1943-), issu de parents artistes. On le voit en photo auprès de sa mère, une belle femme, peintre et poétesse, tout comme le père dont de Niro découvrira après sa mort, qu’il avait souffert d’une homosexualité refoulée.

Mais le documentaire reste bienheureusement concentré sur la carrière de l’acteur et sa filmographie époustouflante. Lorsque l’on pense à lui, il nous vient assez rapidement à l’esprit des images de gangster dues à son long compagnonnage avec Martin Scorsese (1942-). Non seulement Robert de Niro exprime à merveille la violence du milieu, mais surtout, il est capable de faire passer sur son visage l’idée même d’une menace, y compris dans le sourire.

C’est le bon côté de ce film que d’arriver à tout traiter, c’est-à-dire sans oublier que l’acteur avait aussi une grande puissance comique, à même de se tourner en dérision, comme dans « Mafia Blues » en 1999, lorsque le chef de gang impitoyable qu’il incarne, subit une psychanalyse. Sa confrontation avec Billy Crystal dans le rôle du psy, ne comporte aucune scène d’inquiétude, c’est évidemment l’inverse qui se produit. La combine du contre-emploi fonctionne cette fois à plein régime, comme dans « Mad Dog and Glory » (1993) film non-comique où De Niro aux côtés d’Uma Thurman et de Bill Murray, interprète un flic sensible, esthète, au milieu des gangsters. Et là cela fonctionne encore. On peut aussi penser à lui dans « L’éveil » (1990), dans un rôle de patient éteint par la maladie, où le comédien passe d’un statut fermé à une renaissance provisoire avec une science de l’interprétation rarement atteinte, additionnant force et de justesse.

L’homme qui nous est montré ne cesse de nous captiver. Également dans ses prises de position publiques où il fustige avec une énergie non-jouée cette fois, Donald Trump. Ses « Fuck Trump » sonnent comme des hauts-le-cœur n’ayant nécessité aucune préparation, aucun apprentissage de texte. Il n’est plus dans ce registre cette multitude de personnages dans lesquels il se coulait avec une aisance confondante, mais Robert De Niro tout court, en train de sortir de ses gonds et de sa discrétion habituelle, avec une conviction qui ne laisse pas de place au doute.

PHB

« Robert de Niro, l’arme du silence ». Jean-Baptiste Péretié . Commentaire dit par Denis Podalydès – À l’antenne d’Arte le 15 juin et sur Arte.TV jusqu’au 12 septembre
Source images: Arte © RGR Collection / Alamy Stock Photo
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