Le duo formé de Cynthia Cheng, qui manie une très belle plume, et de Maxime Vanhollebeke, jouant avec dextérité de ses talents de photographe, signe une œuvre aussi originale qu’émouvante. Dans une démarche humaniste, les auteurs de « Hong Kong Shifts, stories from the streets of Hong Kong » (« Quarts de Hong Kong, histoires des rues de Hong Kong ») capturent avec brio la quintessence de la vie des travailleurs du Port au Parfum, ces hommes et ces femmes qui travaillent sans relâche, aussi discrets qu’indispensables au fonctionnement harmonieux de la cité. Les lecteurs en quête de témoignages authentiques se réjouiront de tourner les pages de ce livre exceptionnel (publié en juillet 2024) qui sort des sentiers battus. Une fois n’est pas coutume, l’humain, photographié et raconté, vole la vedette à l’architecture hétéroclite de la ville, à sa densité à donner le vertige, à ses échafaudages en bambous qui sont habituellement pris en photo.
La photographie de Maxime Vanhollebeke a, quant à elle, le don de révéler la lumière particulière émanant de la personnalité de ceux qui acceptent de se prêter à son jeu, ôtant leur masque au sens figuré comme au sens propre. Comblant notre curiosité soudain réveillée, l’écriture accompagnatrice de Cynthia Cheng en -anglais et en cantonnais -, pétillante, invite à une rencontre plus en profondeur de ces personnages jusqu’à présent rarement dévoilés, pourtant aussi valeureux que clairvoyants.
La réussite de l’ouvrage « Hong Kong Shifts », haut en couleur et reflet de la puissante énergie vitale hongkongaise, vient sans conteste de la créativité astucieuse des deux auteurs. Elle est aussi le fruit d’une complicité qui s’est instaurée au fur et à mesure de leur exploration commune des quatre coins de la Région Administrative Spéciale (Île de Hong Kong, Kowloon, Nouveaux Territoires, Lantau Sud, Discovery Bay, Cheung Chau, Lamma, etc). Ce cheminement épique les a parfois conduits au-delà de leur zone de confort tandis que, de temps à autre, l’épidémie de Covid battait son plein.
Cynthia Cheng se souvient de la naissance du projet: « C’était en 2019. Maxime et moi travaillions ensemble comme avocats. Maxime estimait beaucoup sa gardienne d’immeuble, Mei Fung (Beau Phénix, 美鳳), mais, ne sachant pas parler cantonnais, se demandait comment engager la conversation avec elle. Alors, un dimanche, je suis venue les retrouver puis nous l’avons invitée à déjeuner au chàh chāan tēng. (茶餐, café cuisinant les plats locaux). » À l’aise dans cette ambiance chaleureuse, Mei Fung a dépeint sa routine quotidienne, son métier, ses centres d’intérêt, sa famille, son enfance. Heureux de cette jovialité communicative, « nous avons réalisé, bien que nous ayons peu en commun dans notre vie de tous les jours, qu’une interaction humaine porteuse de sens ne nécessite souvent aucun autre dénominateur commun qu’un mélange de respect mutuel, de curiosité et de gentillesse. » C’est ainsi que l’aventure a commencé.
« Souvent, nous choisissions une station de métro au hasard puis explorions son quartier », relate Maxime Vanhollebeke: « Même si nous ne trouvions pas tout de suite un représentant de la profession que nous espérions interviewer, nous ne rentrions jamais bredouilles. » Sur l’île de Cheung Chau (長洲), par exemple, avant de faire la connaissance du pêcheur Gun (Racine, 根) à l’heure du soleil couchant, les deux explorateurs ont d’abord croisé la route du conducteur de véhicule VV, Tak (Vertu, 德), surnommé « Goldfish Tak » car, dans son enfance, il élevait des poissons rouges. Ils ont également eu la chance de discuter avec Sai (Élancé, 細), monteur d’échafaudage en bambous qui préfère installer les structures dédiées aux festivals, les trouvant « amusantes car elles me permettent d’être créatif et freestyle », explique-t-il: « Je n’ai pas peur des hauteurs, mais, lorsqu’on est tout là-haut, il faut se souvenir de ne pas regarder en bas -Regarder devant! »
Certaines personnalités ne cessent de se déplacer. « Dans ce cas, nous organisons des rendez-vous », précise le photographe: « Cela a été le cas avec Jean, que nous avons retrouvée à Pui O. » Connue comme celle qui « chuchote à l’oreille buffalos », Jean (ci-contre) prend soin de ceux qui vivent au Sud de Lantau (嶼南) . Chaque jour depuis 15 ans, elle leur apporte du foin, des pommes, des oranges, des pomélos et les soigne s’ils sont blessés.
« Tout le monde a une histoire intéressante à raconter », observe Cynthia Cheng. Remarquant que s’adonner à la narration développe des facultés d’écoute, d’interaction avec son entourage et d’empathie, les deux auteurs ont fondé une plateforme sociale qui anime des ateliers d’apprentissage en la matière. Ceux-ci ont lieu dans des écoles, dans des maisons de retraite, ou dans des entreprises. Les deux conteurs reçoivent aussi des commandes d’institutions, à l’image du Royal Hong Kong Yacht Club, qui souhaitent valoriser leurs employés en publiant leur parcours de vie en guise de reconnaissance. C’est ainsi qu’au-delà d’un précieux exercice artistique, « Hong Kong Shifts « , témoin d’une époque, permet de rendre à César ce qui est à César.
Edwige Murguet depuis Hong Kong
Magnifique ! Merci Edwige
Merci belle aventure