À Bruxelles, livres précieux… et hochets de collection

Certes vous êtes en Belgique, pays bilingue, vous êtes même à Bruxelles, capitale multilingue. Mais ne cherchez pas dans le dictionnaire, vous n’y trouverez pas le mot « Wittockiana ». Le néologisme a été formé sur le nom de Michel Wittock, pour désigner le Musée des arts du livre et de la reliure que ce collectionneur belge créa en 1983 à Bruxelles, dans la commune huppée de Woluwe Saint-Pierre. Mû depuis son plus jeune âge par la passion de la bibliophilie, cet industriel fortuné, décédé en 2020, avait constitué un exceptionnel ensemble d’ouvrages précieux non seulement pour leur contenu ou leur rareté, mais aussi pour la beauté et la qualité de leur fabrication. Il était avant tout passionné de reliure, quasiment élevée au rang des Beaux-arts. La collection, ouverte au public et aujourd’hui intégrée à la fondation Roi Baudouin, a trouvé un écrin contemporain dans un bâtiment moderniste spécialement conçu pour elle par l’architecte bruxellois Emmanuel de Callataÿ.
Grâce à une sélection des livres les plus représentatifs choisis parmi un fonds de 3.000 ouvrages, on peut y suivre l’évolution des styles et du goût de amateurs depuis la Renaissance jusqu’à nos jours. La plupart des ouvrages sont de qualité muséale, faisant du lieu bruxellois un passage obligé pour tout bibliophile (d’autant que ce dernier se sait appartenir à une espèce en voie de disparition et qu’à ce titre il a droit à tous les égards).
On pourra notamment y trouver les 33 rares volumes de la mythique Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Ils proviennent du fonds Lucien Bonaparte, auquel une salle entière est consacrée. L’explication est d’ordre familial: les enfants de Michel Wittock sont par leur mère descendants en ligne directe du frère de l’Empereur, prince de Canino, qui occupa un temps le poste de ministre de l’Intérieur.

La Wittockiana se veut beaucoup plus qu’une simple maison de conservation. Elle propose tout au long de l’année des cours de reliure et de dorure, accueille des groupes d’étudiants, et ouvre ses portes aux artistes, imprimeurs, éditeurs, et bien sûr relieurs professionnels pour des expositions temporaires. Comme le souhaitait son fondateur, elle est devenue un centre de documentation où l’on peut consulter des livres de référence et toutes sortes de catalogues de ventes rarement trouvables dans d’autres établissements publics.
Mais la plus grande surprise qui attend le visiteur qui s’y rend pour la première fois n’est pas d’ordre bibliophilique.

En plus des livres rares revêtus de cuir souples  et d’inscriptions dorées à l’or fin, que l’on devrait parfois ne consulter qu’avec des gants blancs, une salle relativement modeste attire l’attention. Aucun imprimé ne s’y trouve, mais derrière de sobres vitrines, on y découvre une surprenante collection de… hochets. Près de 500 de ces jouets d’enfants provenant d’une trentaine de pays sont ici réunis. Un ensemble pour le moins insolite, d’autant qu’aucun panneau à l’entrée de la maison n’en signale l’existence et qu’à notre connaissance l’Office de tourisme de la ville n’en fait pas mention.

L’ explication tient ici encore à une histoire de famille: cette collection unique a été constituée par un cousin du bibliophile, Idès Cammaert qui manifestait pour le hochet et son histoire la même passion que Michel Wittock pour le livre. Pour peu que la curiosité vous anime, vous pourrez y apprendre que le hochet, considéré comme le plus ancien jouet au monde, a été souvent utilisé comme une amulette protégeant le bébé des maladies, qu’il a été fabriqué dans les matières les plus diverses mais aussi les les plus précieuses (argent, corail, ivoire, ébène…).  On aurait même identifié son inventeur, un certain Archytas  de Tarente  (vers 440 avant J.-C.) ! Les vulgaires grelots en plastique avec lesquels jouent les poupons d’aujourd’hui ne donnent qu’une image bien terne des objets luxueux que les « grandes » familles des 17e et 18e siècle offraient à leur progéniture et que l’on présente ici.

Parler du hochet renvoie obligatoirement à  Napoléon Bonaparte et sa célèbre réplique lorsqu’il créa la Légion d’Honneur en 1802: « C’est avec des hochets qu’on mène les hommes »…. « Et les collectionneurs » aurait pu ajouter son petit frère Lucien, dont le buste trône dans la pièce d’à côté.

Gérard Goutierre

Photos: ©IGG
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