Un zeste d’IA dans les cartes postales

À première vue on dirait une momie. Son visage est couleur craie. De derrière son comptoir de bistrotière, elle nous toise. Sauf qu’elle n’est ni une momie, ni une statue. D’ailleurs elle cligne des yeux et son cou oscille légèrement. C’est une automate dopée à l’intelligence artificielle. Si l’on appuie du doigt sur une carte postale fixée au mur, la voilà qui se met à parler afin d’expliciter au visiteur ce que le petit carton ne dit pas. La scène se passe au sein d’un café de l’ancien temps, dont les parois et la décoration intérieure ont été reconstituées. Le tout est inclus au Carton Voyageur, soit le nom d’un musée de la carte postale qui se situe à Baud, dans le département du Morbihan. Datant du début de l’été, cette adjonction d’intelligence artificielle est bienvenue. Elle vient poivrer autant que faire se peut une thématique trop sage sur un secteur pourtant loin d’être mort. À ce qu’il paraît en effet, les Français en envoient sept par an, snobant les applications téléphoniques et faisant encore pédaler le facteur sur son vélo. Le site planetoscope.com précise néanmoins que la postcard se vend encore bien mieux chez nos cousins britanniques ou américains.

Et si l’on croit tout savoir sur le sujet, ce musée nous apprend encore quelques trucs. Par exemple que la première du genre date de 1840 et que c’est un écrivain anglais, Theodore Hook, qui s’était adressé de la sorte, un bristol à lui-même. Le document n’a été retrouvé qu’en 2002 et fait désormais figure de référence historique. Mais le concept officiel remonte à 1865, à la suite de la conférence postale austro-allemande. Ces bristols administratifs connaîtront un succès immédiat. Pour le meilleur et pour le pire: qui n’a pas croisé du regard sur les tourniquets de magasins de souvenirs, au bord des plages, des cartes postales horriblement vulgaires mêlant bronzage et gaudriole.

L’intérêt de ce musée est de nous raconter, surtout en Bretagne puisque cet établissement (moderne) y est planté, comment la carte voyageuse, guidé par l’intérêt financier de ses éditeurs, a saisi le passé des Bretons. Avec plus ou moins de justesse et même de malveillance: le paysan et la paysanne, habitants des villages ruraux, y ont été caricaturés, mal fagotés, pauvres et laids. Mais les choses devaient évoluer avec la complicité de la population qui voyait débarquer des photographes parisiens avec leur appareil et leur trépied. Flatté, on prenait donc la pose avec des habits exprimant la coutume locale, même si les costumes en question n’étaient pas portés dans la vie de tous les jours. Les scènes étaient arrangées, les photos parfois retouchées voire colorées artificiellement. L’intelligence artificielle, que ce soit pour donner la parole à un automate, animer des photographies anciennes ou bazarder les détails gênants, ne fait au fond que prolonger un innocent goût de la triche.

Cela étant dit, certaines cartes postales sont utiles pour les historiens, comme celle que l’on voit de Saint-Malo après les ravageurs bombardements de la Seconde Guerre mondiale. En tout cas, c’est à partir de 1970 que les collectionneurs commencent à s’y intéresser. Elles peuvent prendre une valeur substantielle si elles sont rédigées par des personnages notoires comme il en a été question dans Les Soirées de Paris pour une carte postale de Guillaume Apollinaire adressée à la poétesse Mireille Havet ou celle vendue cette année comportant à son verso un « Bonjour Guillaume » dont l’expéditeur n’était autre que Picasso.

Mais finalement le plus touchant, ce sont ces Français ordinaires, Bretons ou pas, saisis ou mis en scène. Des aïeux sans pedigree particulier qui après avoir fixé l’objectif, nous regardent de plus en plus loin. Ceux que les peintres ne prenaient pas forcément en compte, leur préférant les pins maritimes bordés par la mer avec au loin les bateaux à voile. Certains bretons étaient aussi des faux comme il est mentionné. Du moins quand le photographe avec ses propres costumes, faisait poser des proches, sans doute pour gagner du temps (et de l’argent). Mais la carte postale n’est pas assermentée, c’est l’un de ses charmes.

Le musée est installé aux deux derniers étages  d’un pôle culturel intitulé Quatro. Géométrique, il donne à l’ensemble un petit côté art moderne de bon aloi. La Bretagne a changé. Depuis mille cinq cents ans qu’elle a été christianisée, la voilà qu’elle passe comme tout le monde à l’intelligence artificielle. À proximité de l’endroit où est apparue  Sainte-Anne, la grand-mère de Jésus. C’est le propre de la bonne santé celtique que de savoir tout intégrer.

PHB

« Le carton voyageur », musée de la Carte postale, 3 avenue Jean Moulin, 56150 Baud. Du mardi au dimanche de 14 heures à dix-huit heures, sauf au mois de janvier
Photos: ©PHB
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