C’est bien vrai que ce « Nouveau-Né » méritait d’être mis en avant. Même s’il est bien difficile de choisir un Georges de la Tour parmi une trentaine de chefs-d’œuvre sélectionnés. Mais c’est bien ici le choix du musée Jacquemart-André, pour une exposition exceptionnelle qui démarrera le 11 de cette semaine. Peinte entre 1647 et 1648, cette toile est une concentration de savoir-faire. La scène est domestique. Deux femmes sont au chevet d’un bébé emmailloté. L’une le tient, l’autre porte la bougie diffusant une aura magique sur le rouge de la robe. La lumière confère même un aspect luisant au visage du poupon, le réalisme est ici poussé jusqu’au bout. Aujourd’hui on aurait tendance à ternir artificiellement un éclat ou un reflet inopportuns. De La Tour quant à lui, n’avait pas occulté ce détail, sur une surface où tout est pensé, où chaque pièce du puzzle s’agrège, afin d’aboutir à un résultat sans-faute.
Ce peintre né en en 1593 à Vic-sur-Seille et décédé en 1652 à Lunéville, apprécié de Richelieu et de Louis XIII, tombé dans l’oubli jusqu’en 1915, était un admirable perfectionniste de l’intime. Pas le genre à faire Judith décapitant Holopherne comme le fit son aîné le Caravage (1571-1610), chez qui il aurait puisé quelque influence. De La Tour excellait dans les scènes presque impudiques telle une femme s’épuçant, conférant à ses sujets un mélange de modestie et de noblesse tout à fait remarquable.
L’importance de cette exposition tient à la rareté de ses œuvres sur une quarantaine répertoriées et surtout à leur dispersion à travers le monde. Le musée en a donc rassemblé trois dizaines, un tel événement n’étant pas arrivé depuis la rétrospective de 1997 au Grand Palais. La France en détient quelques unes comme ce « Nouveau-Né » venant de Rennes ou encore le « Le Vielleur au chien », toile qui surprendra plus d’un visiteur faisant escale à Bergues dans le département du Nord. D’autres établissements prétendent en avoir comme le musée Zabana à Oran mais l’authenticité de leur « Nativité » suscite le doute. En tout cas, plusieurs musées dans le monde en détiennent des certifiés, comme à Cleveland en Ohio et jusqu’à Lviv, en Ukraine. Ce sont des trésors qui ne se prêtent qu’à la rigueur et qui ne se déplacent qu’avec des accompagnateurs sur les dents. De surcroît certains ont disparu comme un « Saint-Sébastien » commandé par Louis XIII. Lequel aurait fait, selon la légende, décrocher toutes les autres toiles afin de ne pas porter ombrage à celle qui lui tenait à cœur.
L’exposition du musée Jacquemart-André s’intitule « Entre ombre et lumière »: ils ne se sont certes pas cassé la tête. Cependant, il faut bien avouer qu’à défaut d’originalité, ils ne pouvaient faire plus juste. D’autres artistes pourraient tout aussi bien prétendre au titre mais ce n’est qu’un titre qui après tout, s’efface assez vite devant cet alignement inouï de chefs-d’œuvre.
Deuxième œuvre présentée comme emblématique dans la scénographie, « Le Reniement de saint Pierre », a été exécuté en 1650. Comme l’indique sur la pièce une date ayant permis aux historiens de disposer d’un élément chronologique fiable. Surtout la toile est celle par laquelle Georges de la Tour est enfin repassé de l’ombre à la lumière, ceci dit sans humour déplacé. Car c’est bien en 1915, alors que Georges de la Tour sommeillait dans l’oubli, que l’historien d’art Hermann Voss a identifié l’auteur du tableau, offert en étrennes au gouverneur de Lorraine. Il y a ici quelque chose d’étonnant puisque Saint-Pierre se trouve marginalisé à gauche au profit d’une partie de dés entre soldats (deuxième scène du genre signé GDL), tout à la gaieté de leur jeu. Un peu comme si Georges de La Tour avait discrètement honoré la commande afin de laisser de la place à quelque chose de plus intéressant. Il est possible nous explique-t-on, que l’ensemble soit sorti de son atelier ce qui n’enlève ni n’ajoute rien, au résultat extraordinaire. L’atelier était un concept collaboratif tout comme on le dirait d’un studio de publicité de nos jours, sans que cela soit en rien péjoratif. Un maître était ainsi une sorte de directeur artistique, mais le job n’existait pas encore.
On suppose que nombre de ses œuvres ont été perdues ou détruites durant la guerre de Trente Ans (1618-1648), entraînant l’incendie de Lunéville par les troupes françaises. Exactement ce que l’on pourrait d’ailleurs craindre en Ukraine en ce moment même, sauf que celle aujourd’hui prêtée, est bien au chaud à Paris. Toutes les autres qui nous sont présentées jusqu’au 25 janvier, forment un cadeau venu du ciel.
PHB
L’éclairagiste ?
Georges de la Tour mérite mieux !
Veinards que vous êtes ! Et ce n’est pas peu dire !