« Je ne veux pas faire un spectacle en noir et blanc, je veux faire un spectacle en gris et gris. » Pari tenu pour l’auteur et metteur en scène Jean-Philippe Daguerre. Le spectacle, c’est « Du charbon dans les veines ». Créé au Festival Off d’Avignon à l’été 2024, venu à Paris au Théâtre Saint-Georges, il revient à la rentrée au (si charmant) Théâtre du Palais Royal. Toujours auréolé de ses cinq Molières. Dont celui du spectacle du théâtre privé, du metteur en scène et de l’auteur. Rien de bling bling ici. Non, rien ne brille, tout est gris. En apparence en tout cas: on voit tout gris, Mais on perçoit beaucoup de lumière, celle de l’amour, de l’amitié, de la solidarité.
Il fait tout le temps nuit sur scène, de la salle du café à la volière aux pigeons, jusqu’au fond de la mine. Ah, oui, c’est de mine dont il s’agit ici, de la bien nommée Nœux-les-Mines, dans le Pas-de-Calais, au Nord y avait les Corons, la terre c’était le charbon, le ciel c’était l’horizon, les hommes des mineurs de fond. Tout est sombre, éclairé comme à la lueur d’une bougie. Le gris s’invite jusque dans la salade qu’on ne voit pas mais qu’on nous rappelle devoir être rincée cinq fois avant de pouvoir être mangée. « Du Charbon dans les veines », dès le titre du spectacle, nous sommes prévenus.
Le dispositif scénique est réussi, il multiplie les espaces, tour à tour éclairés en laissant le reste de la scène dans le noir. Permettant la succession rapide de scènes courtes, les comédiens allant et venant discrètement, aidés en cela par la perpétuelle pénombre. Il n’y a pas de grands effets inutiles, superficiels, tout est dans l’authentique, au rythme de la vie qui s’écoule, descente après descente dans le trou, au son du marteau-piqueur, ou au gré des baisers en bicyclette ou des visites chez le médecin quand la toux devient toujours plus annonciatrice du pire.
La vie est dure, le soleil n’existe pas dans le ciel de la mine. Et pourtant. Les gueules noires sont bien lumineuses, elles font contre mauvaise fortune bon cœur, l’expression est idéale ici. L’intrigue est disons cousue de fil blanc comme le suggère ma voisine d’orchestre, mais alors c’est bien cousu, finement, sobrement, efficacement. On rit et on pleure avec autant de sincérité, celle qui jaillit de la scène. C’est simplement émouvant. Le spectateur est emporté, il ne s’ennuie pas un instant. Certes, 1h20, ce n’est pas très long pour s’ennuyer vraiment.
Les comédiens sont convaincants. Juliette Béhar et Raphaëlle Cambray, Molières de la révélation féminine et de comédienne dans un second rôle, tout comme Jean-Jacques Vannier, Aladin Reibel, Théo Dusoulié, Julien Ratel. Et Jean-Philippe Daguerre, au four et au moulin. Chacun joue parfaitement sa partition pour composer une chouette chorale, des jeunes mineurs meilleurs amis du monde jusqu’à ce que l’amour pour une même femme s’en mêle, aux vieux sages, à la mère de famille pleine de bon sens. Le jeu des comédiens sert ainsi habilement les mots qui sonnent juste, dans un décor brillamment gris.
En route donc pour le pays minier, à la fin des années 50, en pleine Coupe du monde de football en Suède, la France termine troisième, on peut d’ailleurs voir la petite finale contre l’Allemagne grâce au tout nouveau bijou trônant dans le salon, un téléviseur. Noir et blanc. Ou gris et gris. Sur le terrain, Raymond Kopa, ou plutôt de son vrai nom Raymond Kopaszewski, l’enfant du pays, petit-fils d’immigrés polonais né à Nœux-les-Mines. Et en attendant la prochaine émission, on ira écouter l’orchestre local, la fanfare du Nord, celle-ci en l’occurrence uniquement composé d’accordéons. La musique nous parlera de romance, de la vie dans les corons, où ensemble on peut tout réussir. Presque tout.
Byam
Merci pour ce magnifique commentaire qui donne très envie de quitter la province pour un soir à Paris!