Monsieur Verhaeren passe ses étés à la campagne

L’endroit n’est pas des plus faciles à trouver, mais le touriste un peu curieux sera récompensé de sa persévérance en découvrant un paysage champêtre auquel il ne s’attendait probablement pas. C’est qu’il se trouve dans le Borinage, entre Valenciennes et la ville belge de Mons. Cette région est voisine du « pays noir » expression peu flatteuse due aux nombreux puits d’extraction du charbon de l’endroit. Les dernières mines ont beau avoir été fermées depuis plus de 60 ans, la région pâtit encore de cette réputation alors que, non loin des terrils devenus aujourd’hui des lieux d’excursion fréquentés, on découvrira de verdoyantes campagnes. C’était essentiellement pour la paix et la  sérénité de l’endroit qu’à la toute fin du XIXe siècle, le poète flamand d’expression française Émile Verhaeren décida de s’installer chaque année pour plusieurs mois, dans ce lieu retiré du Hainaut belge, à quelques kilomètres de la frontière française. L’endroit porte le nom savoureux de « Caillou-qui-bique ». Entendez, selon le parler local, « rocher qui se dresse ». Curiosité géologique, il s’agit d’une roche assez énorme de plusieurs centaines de millions d’années que les spécialistes nomme « poudingue ».

On vient l’admirer le dimanche en famille après avoir marché une quinzaine de minutes dans une petite forêt aux essences anciennes et en suivant une rivière (la Honnelle)  dont l’eau est forcément cristalline: un décor auquel le qualificatif de bucolique convient parfaitement.

Verhaeren, alors âgé de 44 ans, avait découvert en 1899 ce lieu que lui avait vanté la veuve de son ami l’écrivain Georges Rodenbach (auteur de « Bruges la morte ») et aussi le peintre symboliste Constant Montald, auquel le prix de Rome avait été décerné  quelques années plus tôt. Avec son épouse Marthe, il y séjourna plusieurs saisons jusqu’en 1914, occupant un pan de ferme d’un paysan du lieu, Léon Laurent, devenu rapidement un ami. Ce dernier raconta par la suite les longues promenades de l’écrivain « avec ses deux poings en avant, ses longues moustaches et ses cheveux dépeignés » et dont l’un des plaisirs était de compter les clochers environnants: « Quand il était arrivé à quinze, il était content « . (1)

Ces longs séjours propices à la méditation et à l’écriture favoriseront une production importante. Verhaeren jouissait alors d’une d’un grand prestige dans toute l’Europe, et le lieu fut fréquenté par d’autres célébrités de l’art ou de la littérature. On venait y rencontrer le Maître. Ce fut le cas pour l’un de ses plus grands admirateurs, l’Autrichien Stefan Zweig, auteur dès 1910 d’une biographie très laudative sur l’écrivain flamand.

L’année 1914 et l’arrivée de ce qu’on ne tardera pas à appeler la Grande Guerre signifièrent la fin  des séjours de l’écrivain dans le Hainaut. Émile Verhaeren devait disparaître deux ans plus tard dans des circonstances à la fois tragiques et absurdes. Le 27 novembre 1916, quittant Rouen où il venait de donner une conférence, il perdit l’équilibre en montant précipitamment dans le train de retour et, les deux jambes broyées sous les roues du train, décéda peu après. Cette brutale disparition causa un grand émoi dans toute l’Europe. La France proposa le Panthéon. Le Mercure de France consacra un numéro spécial à l’écrivain.

Quant à son refuge du Caillou, miraculeusement épargné  lors des premières années de guerre, il fut finalement détruit par des bombes ennemies, moins d’une semaine avant l’armistice, le 6 novembre 1918.

La Belgique n’a jamais été ingrate envers ses enfants célèbres. À l’emplacement même de la ferme qui fut un lieu de vie et de création privilégié, se trouve aujourd’hui « l’Espace muséal Verhaeren ». On peut y consulter de nombreuses reproductions de documents historiques. Avant d’y parvenir, on ne manquera pas d’admirer, en bordure de forêt, un buste de bronze représentant le visage si caractéristique de celui qui fut un temps, dans son pays, considéré comme un poète national.

Gérard Goutierre

(1) cité par A. Mabille de Poncheville « Deux maisons du poète »
Photos: ©GG et ©Marc G.
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Une réponse à Monsieur Verhaeren passe ses étés à la campagne

  1. Garet N dit :

    Pas convaincue dans ma jeunesse par ce « caillou qui bique », voici un objectif culturel qui donne envie d’y retourner ….

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