L’IA pourrait mieux faire

Lorsque l’on demande à deux célèbres modules d’intelligence artificielle, combien y-a-t-il de voies en France portant le nom d’Apollinaire, les deux systèmes flanchent. Ils ont beau valoir des milliards, les deux IA sollicitées sèchent. Pourtant la question a été correctement posée. Elles se bornent à répondre (du moins dans leur version gratuite) qu’il existe bien une rue, au moins une dans le 6e arrondissement, mais avant de suggérer que le mieux serait d’aller consulter une base données spécialisées. On croyait que c’était un peu le boulot de l’IA justement, on pensait naïvement s’offrir un tour en Ferrari dans le cyberespace et on se retrouve avec un vieux tracteur butant sur la première souche venue. Peut mieux faire, le I-chaton. Nous avons donc, avec notre intelligence très ordinaire, sollicité le plus simple des moteurs de recherche, lequel nous a proposé un peu en-dessous du premier rang, une data base dont les origines devaient remonter aux tableurs de nos aïeux. Moyennant quoi nous sommes en mesure de faire part à nos lecteurs qu’entre les rues et les impasses, il existe 221 voies en France qui portent le nom de Guillaume Apollinaire, contre 621 à Picasso et 1000 à Victor Hugo.

On dénombre actuellement plus d’une vingtaine de documentaires sur Arte concernant l’intelligence artificielle, thème qui s’introduit dans à peu près tous les sujets d’actualité, au même titre que le climat. Dans le domaine culturel, les possibilités telles que l’on nous les présente dans un des films, c’est le grand saut créatif. Ainsi, un documentaire nous montre une pianiste exécutant une partition de Beethoven que le grand musicien n’a jamais rédigée. La composition est issue d’un « prompt », ce vocable désignant une commande à la machine. En l’occurrence, il s’agit, après une introduction authentique de l’auteur de la  « Neuvième symphonie », d’achever le travail sur le même ton. Et il faut bien avouer que ça fonctionne sans dissonances notables.

L’on nous montre dans un deuxième temps un jeune homme, musicien de son état et plutôt porté sur le jazz, et comment il explore la composition assistée par les machines. Le voilà qui emprunte sans gêne le timbre de jazz Sarah Vaughan et alors qu’il chante quelque chose dans le micro, le son qui en sort est la réplique d’une des plus grandes chanteuses de jazz. De fait, quand les deux intelligences s’acoquinent, le champ des possibles échappe au cadastre. Ce n’est pas d’hier pourtant que l’on peut trafiquer des sons, cela remonte aux années cinquante, mais les combinaisons se sont démultipliées depuis et surtout il est possible de dire à la machine d’achever un opéra dont on lui aura donné les bases et de l’accompagner au biniou.

Littérature, poésie, peintures, articles, peintures, dessins , films, photographies, tout y passe. Ce qui fait qu’en ce moment même, le trucage à grande échelle laisse songeur. Quelquefois pour le pire: tel un chef d’État couronné assaisonnant d’excréments ses opposants depuis son avion de chasse virtuel. Et en d’autres moments pour des choses plus intéressantes, avec des artistes créant des univers parallèles, des êtres qui n’existaient pas auparavant, en compétition d’étrangetés avec leurs pairs.

Tous ces documentaires portent une interrogation commune sur le devenir de ces systèmes à la Père Noël à qui il deviendrait possible de tout demander, ce qui n’est pas le cas actuellement. Sans doute est-ce encore trop tôt, les machines n’ont pas encore toute la matière requise pour en extraire de suaves synthèses. Celles qui multiplieraient pour de vrai les petits pains, changeraient l’eau en vin ou expliqueraient comment échapper à l’impôt avec l’onction du fisc en prime.

Tout cela trace des perspectives enthousiasmantes ou déprimantes, c’est selon. À ce propos, ceux qui s’angoisseraient à l’idée d’un déploiement d’armes intelligentes, sachant qui tuer ou non, il semble que quelque chose soit prévu. Dans le cinquante-deux minutes « Psychothérapie et intelligence artificielle », on  nous vante les robots conversationnels, compréhensifs et chaleureux et qui existent déjà, notamment aux États-Unis via l’application Woebot. On y voit et on y écoute une certaine Saskia qui se débat avec les tourments et les angoisses de son enfance. Mieux qu’un psy dont les séances s’échelonnent de semaine en semaine, l’application est toujours prête à répondre avec une voix choisie et conseiller des images « feel good » pour parer au plus pressé.

Finalement le moins déprimant, c’est bien de trouver par soi-même qu’il existe en France 433 voies portant le nom de Rimbaud ou de découvrir dans le cocon des fiches cartonnées, comme on a pu le voir cette semaine même sous la plume de Gérard Goutierre, le trésor d’une réponse enfouie. Vivre ou ne pas vivre avec son temps, comme il est dit de nos jours, tout est dans le positionnement du curseur.

PHB

(1) Consulter la base des voies de France

Illustration: ©PHB

 

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