Quand il partait de Montpellier pour rallier le mont Ventoux (Vaucluse) et gagner l’étape du Tour en un peu plus de cinq heures, Raymond Poulidor ne s’embarrassait certes pas des « Confessions de Saint-Augustin » en un volume, courbé qu’il était sur son guidon, anxieux de ne pas se laisser dépasser par Felice Gimondi. C’était en 1965. Il ne savait peut-être pas qu’un certain Pétrarque, l’avait devancé six siècles auparavant, accompagné de son frère. Et que ce Francesco Petrarca lui, né à Arezzo (Italie) le 20 juillet 1304, avait bien emmené le fameux bouquin car son ascension n’avait pas pour but que de se dégourdir les jambes. Il était déjà quelqu’un de connu et, à ce titre, en grimpant sur le Ventoux à près de deux mille mètres d’altitude, il devenait le premier « people » à gagner le sommet, le premier touriste à en publier le récit dans un langage dit « vulgaire ». Le tout ayant été réécrit bien après son ascension et son couronnement à Rome, en tant que poète des poètes.
Cet opuscule de 40 pages à peine, que l’on peut trouver chez l’éditeur Sillage, était en fait une lettre adressée à son mentor, le Père augustinien Dionigi dei Roberti. Un texte dont l’objectif semble démontrer que l’on peut grimper par les chemins des bergers sans pour autant se dispenser de réfléchir. Pétrarque s’était fait accompagner de son frère, il n’avait pas trouvé parmi ses amis le profil idéal, soit parce que l’un était bête, l’autre trop intelligent, l’un trop maigre, l’autre trop gros. Et cela bien que la « charité excuse tout » trois mots cités par Pétrarque et selon Saint-Paul dans une de ses fameuses épîtres dont il accablait les Corinthiens. Pour Pétrarque, l’amitié ne devait certes « refuser aucun fardeau » mais pour une telle randonnée, il valait mieux les laisser dans une auberge de Malaucène pour le pot du retour. Son frangin encadré de deux domestiques allait donc faire l’affaire, pour cette élévation par les voies les plus raides. Ce frère dont l’agilité par ailleurs, devait se révéler supérieure.
En chemin, le célèbre promeneur avait ses références en tête, une pour chaque aspect: la béatitude qui vient au fur et à mesure que l’on gagne en altitude ou la nécessité selon Ovide cité à bon escient, de « désirer pour atteindre son but ». En tout cas il y parvint après avoir vainement tenté des chemins moins pentus, accroissant ce faisant la distance idéale. Il put enfin découvrir l’admirable point de vue qu’en voiture tout le monde de nos jours peut découvrir facilement, chacun cherchant à identifier les côtes anglaises ou celles de l’Afrique, tellement le Ventoux encourage les exagérations. Cette montagne qui était autrefois une île, découvrant ses dessous depuis vingt millions d’années environ, a ceci de particulier qu’elle figure très régulièrement dans l’onglet « actualités » de Google.
C’est en tout cas une chance admise par tous que d’accéder au plateau sommital par beau temps, tant le brouillard là-haut est courant comme Philippe V de Macédoine en fit l’amer constat en 181 ainsi que nous le rappelle le traducteur et préfacier Yann Migoubert.
Pétrarque étant lui-même chrétien et donc coupable à la naissance, il avoue s’être senti gagné par la honte du plaisir à découvrir le Ventoux et ses admirables alentours, au lieu de se concentrer sur la beauté des âmes, bien préférable. Ce faisant il se gâtait lui-même la promenade, mais peut-être fût-ce après coup, quand il garnit son récit d’une remarque de Saint-Augustin citant Saint-Paul, jamais en veine d’une saillie destinée à élever le débat ou à plomber l’ambiance c’est selon. Ainsi le second avait-il écrit qu’il ne fallait pas vivre dans « l’orgie et l’ivresse », dans la « débauche et l’impudicité », la « rivalité et la jalousie » et qu’il fallait éviter à tout prix de mettre de « l’espoir dans la chair ». On peut dire qu’il n’aurait pas eu le profil requis pour se faire embaucher au Club Méditerranée. Et de cadenasser le propos général avec Saint-Antoine, jouant les conseillers patrimoniaux suggérant à celui qui voulait atteindre la perfection de tout vendre et de tout donner aux pauvres, contre la promesse d’un trésor bien plus grand au royaume des cieux.
Voilà un livret qui lui-même donne à méditer, de la part d’un auteur qui fit d’un amour contrarié pour Laure de Noves, un long chant transi décliné en 366 poèmes, ensemble intitulé « Canzoniere ». Il l’avait rencontrée en 1327, elle mourut sans doute de la peste noire en 1348. C’est aussi à cela que peut servir le Ventoux, à vélo ou à pied, le trajet vers le sommet peut servir à purger bien des peines, une crampe chassant l’autre, un mythe se substituant au précédent.
PHB
Pour avoir gravi « pedibus » le mont Ventoux nanti du fameux récit de Pétrarque, je subodore que cette randonnée a eu surtout pour but de mettre en lumière la marche comme allégorie de l’élévation spirituelle.
Marcher pour penser et penser pour écrire : le poète ouvrit la voie à un genre qui sera développé par une cohorte d’écrivains voyageurs, genre qui connaîtra par la suite l’engouement que l’on sait…
Dans le droit fil, je viens de relire « Je marche donc je suis » de Roger-Pol Droit & Yves Agid qui confirment votre propos
Nul doute que Pétrarque aurait choisi le porte-bagage de Poulidor pour gravir le Mont Ventoux s’ils avaient été contemporains!
Merci Cher Philippe Bonnet d’avoir évoqué le poète Pétrarque. Etant un ancien italianisant et ayant vécu à Avignon, j’ai été amené, bien sûr, à étudier le séjour de Pétrarque dans le Vaucluse. Je pense que sur ce personnage, figure emblématique d’Avignon, il faut retenir l’importance de son action culturelle pendant ce séjour. Pétrarque a donné une impulsion majeure au lancement du mouvement « Humaniste ». Même s’il a eu des précurseurs, comme toujours dans les grandes évolutions, il est considéré comme le « père de l’Humanisme » Et ce mouvement, véritable révolution culturelle, il l’a lancé d’Avignon et de Fontaine de Vaucluse. Pour cela, il s’est, bien sûr, servi de ses relations dans la Curie romaine pour établir un vaste réseau culturel couvrant l’Europe. On peut donc dire que les idées humanistes, celles de Pétrarque, sont parties du Vaucluse. Et de là, que l’Humanisme a sa source à Avignon.