La formule était simple. L’homme devait juste mâcher avec méthode le poumon droit d’un vautour enveloppé dans une peau de grue. Ensuite l’épouse devait attendre que la mixture fasse son effet avant de profiter de la renaissance sensuelle de son mari. Car c’est au profit du genre masculin qu’allait principalement la recette, ainsi que Pline (23-79 après J.C) le laissait entendre dans son « Histoire de la nature », légendaire ouvrage constitué d’un volume invraisemblable de rouleaux de papyrus. Alors que l’actualité toute récente mentionne, dans la rubrique faits divers, des prises en augmentation de miel aphrodisiaque, on ne peut que constater en relisant Pline, dont l’ouvrage a plus tard été retranscrit en livres (ci-contre), que se ragaillardir le métabolisme en vue de retrouver le goût à la chair est un très vieux souci. Et que cette préoccupation témoigne aussi, probablement, d’une volonté de se distraire de tout ce qui nous ternit l’humeur. L’absorption d’un éclair au chocolat peut fait l’affaire cinq minutes pour un pur plaisir gustatif, mais si l’on veut aller plus loin, jusqu’à l’aube tant qu’à faire, il faut penser au jumelage mitonné d’un poumon de vautour et d’une grue entière.
Certes, pour ce faire, passer commande chez le volailler risque de nous conduire de déception en déception, à moins de tomber sur un très vieux volailler ayant lu Pline l’Ancien, mais l’affaire n’est pas impossible. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les deux volatiles se mangent. La grue se consomme au Canada, l’animal étant lui-même décrit par le ministère de l’Environnement local comme capable de manger de tout. Y compris des frites, peut-on supposer, eu égard à ce que nous constatons sous nos latitudes avec les mouettes ou les corbeaux. À savoir, apprend-on au passage, que les grues nous ressemblent sur le plan amoureux, sauf qu’elles ne pratiquent pas le célibat et qu’en couple, elles sont fidèles à leur conjoint toute leur vie. Étant la cible des chasseurs et pour en revenir à nos moutons, il faut donc trouver un chasseur canadien assez aimable pour nous expédier en confiance, une conserve de grue en peau. Concernant le vautour c’est moins évident, l’espèce étant protégée. Il faudrait donc renoncer à faire des deux un club-sandwich aphrodisiaque.
Mais Pline avait sans doute anticipé des époques moins accommodantes avec les transgressions environnementales, ce qui fait qu’avec cinq jaunes d’œuf de colombes mélangés avec un denier de graisse de cochon nimbé de miel, le cocktail pouvait aussi faire l’affaire et se buvait d’un trait. Côté colombes et cochons, les ingrédients de la mixture semblaient plus aisés à se procurer pour ceux qui voudraient tenter l’expérience. Ou bien encore le port d’un testicule droit de coq, enveloppé dans une peau de bélier, les déclinaisons du maître sur ce terrain avaient du répondant. Le fait que toute nouvelle recette aphrodisiaque, de nos jours encore, soit l’objet d’une vente légale ou de trafic obscur, en dit long sur la frustration de l’espèce humaine non dotée de phéromones comme les lépidoptères.
Ce bon Pline disparu à Pompéi, avait eu au moins un mot pour les femmes, ce qui faisait de lui un homme moderne, pénétré d’égalité. En ce qui les concernait, le régime était différent. La première de ses tambouilles reste de nos jours faisable même si les ingrédients ne se trouvent pas dans la supérette du coin de la rue. Ainsi, fallait-il à une dame de son époque, qu’elle se procurât « un flocon de laine imbibé de sang de chauve-souris » et qu’elle s’en couvrît discrètement le chef. Si elle ne tenait pas à se poisser les cheveux, elle pouvait également, au bistrot en bas de chez elle, commander une timbale de « potion d’oie » en supportant il est vrai, le regard entendu du tenancier.
Au mois de juillet cette année « Le site d’alerte des produits dangereux » édité par l’administration française, recommandait de ne pas acheter un certain miel aphrodisiaque au motif qu’il était dangereux et qu’en cas d’achat impulsif, il fallait même le détruire dès réception (1). D’où l’idée d’en revenir au binôme vautour/grue, recommandé par un ouvrage tellement ancien qu’il est toujours sauf erreur, resté sous les radars d’une administration qui ne fonctionne que pour notre bien.
PHB
D’où l’expression faire le pied de grue !